L’ultime entretien avec Derguène Mbaye : Ce que je croyais être une interview était un au revoir
lundi 6 octobre 2025
Il y a quelques semaines, j’avais eu le plaisir de recevoir dans mon émission un jeune discret, humble et toujours disponible : Derguène Baye. Nous avions alors longuement échangé sur l’écosystème de l’intelligence artificielle, le soutien aux startups, les opportunités et les limites d’un marché encore en construction. J’ignorais alors que cette conversation, que je croyais n’être qu’une étape de plus dans son engagement, serait en réalité un au revoir. Un au revoir à moi, mais aussi à tout un écosystème qu’il a tant contribué à bâtir.
Derguène quitte aujourd’hui le Sénégal pour rejoindre le Danemark, où il intègre Apple et la DTU – Technical University of Denmark comme Postdoc Researcher en AIML, travaillant sur des sujets de pointe liés à la tokenisation dans les modèles de langage multilingues. Une trajectoire qui force le respect et qui témoigne de son abnégation.
Son empreinte est immense. Avec GalsenAI, qu’il a cofondé et dirigé pendant près de cinq ans, il a transformé une petite communauté de passionnés en un véritable mouvement panafricain, fort de milliers de membres. Il a initié des projets de recherche, lancé un laboratoire, accompagné l’État du Sénégal dans la définition de la stratégie nationale en IA et porté haut la question de l’intégration de nos langues locales comme le Wolof dans les modèles de traitement automatique.
Son engagement s’est aussi exprimé à travers Masakhane, où il a coordonné des travaux scientifiques sur le Wolof publiés à l’international, et Baamtu, où il a participé au développement de solutions concrètes allant des chatbots aux systèmes de traduction. Avec AI Hub Sénégal, aux côtés de Daouda Djiba, il a joué un rôle actif dans la mise en œuvre de la stratégie nationale d’IA, en accompagnant startups et initiatives locales.
À travers son parcours, Derguène a incarné une conviction : l’Afrique peut et doit être actrice de la révolution de l’intelligence artificielle.
Quand je l’ai interviewé, je ne pouvais pas deviner que derrière ses mots simples et mesurés se cachait déjà le souffle d’un départ. Ce jour-là, il s’adressait à toute une communauté ; ce que nous croyions être une discussion était en réalité un message d’adieu.
Bon vent, Derguène. Le Sénégal et l’Afrique se souviendront longtemps de ton passage et de ton œuvre.
(Source : Le Techobservateur, 6 octobre 2025)