Les écrans ont conquis les salles de classe, parfois avec un enthousiasme démesuré. Sous prétexte de moderniser l’école, on a cru qu’il suffisait de numériser le savoir pour le rendre plus accessible, plus attrayant, plus efficace.
À l’heure où les tablettes remplacent les cahiers et où les plateformes éducatives se substituent aux maîtres, l’école semble glisser vers un monde sans papier ni mémoire. Mais peut-on réellement apprendre sans tourner les pages, sans sentir le poids du livre, sans inscrire les savoirs dans la durée ? Il est temps de repenser notre rapport aux écrans et de redonner au manuel scolaire sa dignité perdue.
Les écrans ont conquis les salles de classe, parfois avec un enthousiasme démesuré. Sous prétexte de moderniser l’école, on a cru qu’il suffisait de numériser le savoir pour le rendre plus accessible, plus attrayant, plus efficace. Mais à force de tout voir à travers des pixels, ne risquons-nous pas de perdre la profondeur même de l’apprentissage ? Le manuel scolaire, longtemps pilier de l’éducation, semble relégué au rang d’objet d’un autre âge. Pourtant, il demeure l’un des outils les plus puissants de transmission. Entre ses pages, l’élève découvre non seulement des connaissances, mais aussi une manière d’apprendre : lire, relire, souligner, mémoriser. Le livre éduque à la patience, au silence, à l’attention. Il crée une intimité entre le lecteur et le texte, là où l’écran sollicite sans cesse la dispersion.
L’écran, dans sa luminosité trompeuse, ne donne pas le temps de s’arrêter. Il invite à zapper, à survoler, à consommer des savoirs comme on défile un fil d’actualités. Il remplace la réflexion par la réaction, la lecture profonde par la lecture fragmentée. Ce n’est pas un hasard si de plus en plus d’élèves peinent à se concentrer, à mémoriser, à écrire correctement : le numérique, aussi pratique soit-il, a modifié le rapport au savoir et au temps.
Réhabiliter le manuel scolaire, ce n’est pas rejeter la modernité ; c’est réapprendre à équilibrer. Le numérique peut être un allié, mais il ne doit pas devenir le centre. Rien ne remplacera la sensation du papier, la trace du stylo, la rigueur de la prise de notes. Ces gestes simples forgent la mémoire et structurent la pensée. Le livre, lui, ne se déconnecte jamais : il reste fidèle, disponible, transmissible.
L’école doit demeurer un lieu d’enracinement, pas de distraction. Elle doit protéger l’enfant de la saturation numérique, lui apprendre à penser avant de cliquer. Finir les écrans, c’est rappeler que la connaissance n’est pas une succession d’images mais une construction lente, patiente, parfois austère, mais toujours libératrice.
Les écrans séduisent, le livre forme. Les écrans informent, le livre transforme. Entre la lumière artificielle de la tablette et la clarté silencieuse du manuel, il faut choisir la voie de la sagesse : celle qui rend l’élève maître de son attention, artisan de sa propre intelligence. Réhabiliter les manuels scolaires, c’est renouer avec le sens même de l’éducation : transmettre, non pas simplement des données, mais une culture, une méthode, une humanité. Car apprendre, au fond, n’a jamais été une affaire d’écran, mais de regard, de mémoire et de présence partagée.
Samba Niébé Bà
(Source : Sud Quotidien, 22 octobre 2025)