Centres de données en Afrique : un potentiel immense face à des défis persistants
vendredi 10 octobre 2025
L’Afrique attire un nombre croissant d’investisseurs dans les centres de données, portés par la digitalisation rapide du continent. Mais derrière cet engouement, la croissance du secteur reste freinée par des contraintes structurelles, selon un rapport publié par l’Africa Data Centres Association (ADCA).
Début octobre, Raxio Group a inauguré un centre de données de 30 millions $ en Angola, nouvelle étape d’un plan d’expansion soutenu par un financement de 100 millions $ de la Société financière internationale (IFC). Il s’agit du dernier investissement en date dans un secteur au potentiel de croissance immense en Afrique.
À la mi-2023, le continent ne représentait que moins de 2 % de l’offre mondiale de centres de données de colocation, et plus de la moitié de cette capacité se concentrait en Afrique du Sud, selon un rapport d’Oxford Business Group publié en avril 2024. La même source estime que le continent a besoin d’environ 1000 MW de capacité et de 700 installations supplémentaires pour satisfaire la demande. Une dynamique de croissance confirmée par Statista, qui indique que les revenus du marché africain des centres de données devraient atteindre 12,63 milliards $ en 2030, contre 8,96 milliards $ en 2025.
Obstacles persistants
Publié en juin 2025, le rapport Data Centres in Africa Insider Survey de l’Africa Data Centres Association (ADCA) s’appuie sur une enquête conduite en face à face auprès d’acteurs du secteur dans plusieurs pays africains. Les participants y ont évalué les défis de croissance — de la disponibilité énergétique aux compétences locales — sur une échelle de 1 à 5.
Selon le document, les obstacles à l’expansion des centres de données en Afrique restent modérés en moyenne, mais varient fortement d’un pays à l’autre. La pénurie de professionnels qualifiés apparaît comme le défi le plus pressant, avec un score de 2,74 sur 5. Ce manque de compétences est particulièrement aigu au Nigeria et en Afrique du Sud, tandis que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Kenya sont relativement mieux lotis.
La fiabilité insuffisante de l’approvisionnement électrique arrive juste derrière (2,81) et constitue une contrainte critique au Nigeria et en Afrique du Sud. Il est cependant beaucoup moins préoccupant en Côte d’Ivoire, au Sénégal, et encore moins au Kenya. L’incertitude réglementaire demeure également un obstacle important (moyenne de 2,97), notamment au Kenya et au Nigeria. L’accès aux capitaux est aussi cité parmi les défis majeurs.
« Globalement, les données confirment que, malgré des fondamentaux de demande solides, la croissance des infrastructures dépend de la résolution de contraintes structurelles profondes, propres à chaque pays, notamment en matière de compétences, d’énergie stable et de cadre réglementaire prévisible », peut-on lire dans le rapport.
L’ADCA n’est pas le premier organisme à examiner de près les défis du secteur. Dans un rapport publié en mai 2025, Xalam Market a dressé une longue liste comprenant entre autres la durée et la complexité des procédures d’autorisation, les difficultés liées à la construction dans une zone urbaine habitée, les problèmes de zonage foncier et de droits de propriété, la nature des normes environnementales et des codes du bâtiment, les contraintes et coûts élevés liés à l’importation des équipements, le manque de clarté des lois sur la protection et l’hébergement des données, ainsi que les exigences de conformité propres à des secteurs comme le service public, les services financiers ou encore le pétrole et le gaz.
De son côté, Market Data Forecast indique que les dépenses d’investissement élevées (CAPEX) pour la construction et la maintenance représentent un frein majeur. La mise en place d’un centre de données de Tier III ou Tier IV exige des investissements initiaux considérables dans l’immobilier, les systèmes de refroidissement, les alimentations sans interruption (UPS) et la connectivité par fibre optique. La source ajoute que les coûts d’exploitation sont alourdis par la faible fiabilité des réseaux électriques, obligeant les opérateurs à recourir massivement aux générateurs diesel. En outre, elle explique que l’absence d’une réglementation harmonisée entre les pays africains accroît la complexité des exigences de conformité et érige des barrières à l’entrée pour les investisseurs internationaux. Les incohérences fiscales, les droits d’importation et la lourdeur des procédures administratives ajoutent, apprend-on, des niveaux d’incertitude, se traduisant par des cycles de déploiement plus lents et une capacité d’expansion limitée pour les petits opérateurs.
Les pistes de solutions discutées
Face à ces défis, plusieurs approches de solutions s’offrent aux acteurs. Selon Xalam Market, pour répondre aux enjeux de durabilité et d’énergie, les stratégies des fournisseurs s’adaptent au contexte. Les approches observées incluent la signature de contrats d’achat d’électricité (PPA) avec des producteurs indépendants (idéalement renouvelables), la construction d’installations à proximité des sources d’énergie, la production de sa propre énergie renouvelable, et l’investissement dans des stratégies de refroidissement innovantes pour améliorer l’efficacité énergétique.
Une étude d’Intelligent CIO souligne qu’un investissement accru dans les énergies renouvelables, stimulé par les politiques d’économie verte, commence à améliorer la disponibilité d’une énergie fiable. Des solutions comme les centrales solaires sur site et le transport d’énergie se développent. L’étude met également en avant les systèmes de refroidissement dotés de technologies avancées, telles que le refroidissement liquide et le refroidissement libre, qui apparaissent comme des solutions clés pour réduire la consommation d’énergie et renforcer la durabilité environnementale.
Au-delà de l’énergie, Intelligent CIO plaide également pour les centres de données modulaires. Ces unités préfabriquées sont rapides à déployer et extensibles à la demande, réduisant ainsi les coûts et les délais. L’étude ajoute que les solutions de stockage de données, telles que les HDD haute capacité pour l’archivage et les SSD rapides pour un accès immédiat aux données, constituent l’infrastructure de base des services numériques.
Market Data Forecast rappelle de son côté que les réformes politiques et les programmes de développement des infrastructures numériques jouent un rôle essentiel. Dans plusieurs pays, des politiques favorables attirent les investissements étrangers et simplifient les procédures, à l’image du « Plan national de développement 2030 » en Afrique du Sud ou de la « Stratégie nationale du haut débit » au Kenya. L’Égypte est également citée pour ses incitations fiscales visant à attirer des hyperscalers mondiaux.
Isaac K. Kassouwi
(Source : Agence Ecofin, 10 octobre 2025)