Hausse des tarifs des appels entrants : Quand les opérateurs dribblent l’Etat
dimanche 17 mai 2015
En augmentant les tarifs des appels entrants, les opérateurs démolissent les arguments qu’ils avaient naguère brandis pour s’opposer à la surtaxe instituée par l’Etat.
Les tarifs des appels entrants au Sénégal montent en flèche. Après l’abandon par l’Etat en 2012 de la surtaxe sur les appels entrants, les opérateurs de téléphonie ont procédé à une hausse substantielle des tarifs. « Depuis le 3 avril 2015, la minute entrante au Sénégal est de 150,65 FCFA, soit une augmentation de 13 F CFA/mn », a révélé mercredi 8 avril dernier la radio RFM. Une source au niveau de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) qui tient à garder l’anonymat confirme la révélation. Dans un communiqué rendu public, la Sonatel dément : « Des informations relayées dans la presse font état d’une prétendue augmentation des tarifs à l’international de Sonatel. Sonatel dément formellement de telles informations, car il n’y a aucune augmentation des tarifs des clients finaux dans les pays de la sous-région et de la diaspora de manière générale ». Le communiqué ajoute avec une nuancée qui frise l’aveu : « les tarifs qui ont été repositionnés par Sonatel concernent uniquement les tarifs de reversement sur les communications internationales qui ne concernent que les opérateurs ». Un discours qui convainc difficilement le plus crédule.
En 2013 aussi, c’est à la suite d’une révélation du site Dakaractu.com que le grand public a été mis au courant des tarifs excessifs appliqués à international. En réalité l’opérateur avait maintenu les tarifs qu’il avait dénoncés lors de l’instauration de la surtaxe sur les appels entrants. Après vérification, Abou Lô, Directeur général d’alors de l’Artp, avait confirmé l’information : « l’Artp a adressé une lettre aux opérateurs, pour leur demander de lui communiquer leurs tarifs de terminaison des appels entrants au Sénégal. L’Artp a constaté que les tarifs pratiqués sont supérieurs aux tarifs qui étaient en vigueur avant l’adoption du décret sur les appels entrants », expliquait Abou Lo dans le journal L’observateur du jeudi 14 mars 2013.
« Il convient tout d’abord de préciser que l’article 58 du Code des télécoms autorise les opérateurs et prestataires de services à fixer librement les tarifs. Toutefois, les tarifs peuvent être encadrés par l’Autorité de régulation. Mieux, cette disposition est complétée par l’article 60 qui précise : « Les opérateurs et fournisseurs de services tiennent leurs tarifs à la disposition du public avant leur mise en application. Ils sont tenus, en outre, d’informer l’Autorité de régulation de leurs tarifs détaillés au début de chaque année et des modifications ultérieures avant leur mise en application ». Au regard de la manière dont les clients sont informés des hausses, il ne fait l’ombre d’un doute que les opérateurs violent cette disposition. De même, il est curieux de constater qu’ils n’informent pas l’Autorité de régulation du secteur. A chaque fois, l’Artp est obligée de procéder à des vérifications, suite aux révélations de la presse.
Contradictions
La hausse à répétition des tarifs internationaux révèle aussi une violation des termes du protocole d’accord signé entre l’Etat du Sénégal et les opérateurs en 2012. En effet, l’abrogation en mai 2012 du décret instituant un système de contrôle et de taxation des appels entrants était assujettie à des conditions. Les opérateurs s’étaient engagés, dans un protocole, à baisser le coût des appels sortants et entrants à leur niveau, avant la mise en vigueur du décret instituant cette taxe. Un engagement qu’ils n’ont jamais respecté. Au contraire, comme le prouvent les faits, ils procèdent régulièrement à des augmentations.
Le décret n° 2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant en République du Sénégal avait fixé des minima qui sont en deçà des tarifs actuels. L’article 6 du défunt décret stipulait : « le seuil minimal du tarif des communications téléphoniques internationales entrantes à destination de la République du Sénégal est fixé à 0,215 euro soit 141,03 francs CFA par minute pour la terminaison vers les réseaux fixes et mobiles ». Ces tarifs dénoncés à l’époque par les opérateurs sont supérieurs à ceux pratiqués actuellement.
Manœuvres
En augmentant leurs tarifs, les opérateurs démolissent les arguments qu’ils brandissaient contre la taxation par l’Etat des appels entrants. Dans leur bataille contre la surtaxe des appels entrants en 2011 par l’Etat, les opérateurs avaient soutenu que cette mesure entrainerait des incidences négatives. En première ligne du combat, la Sonatel qui tire le plus grand profit du trafic international. Plusieurs facteurs expliqueraient selon eux cette perte. D’abord, la réciprocité. La Sonatel soutenait que face à la hausse des tarifs opérée par le Sénégal, les opérateurs à l’international allaient appliquer une réciprocité. Ensuite, disaient les cadres de la Sonatel, la hausse des tarifs serait de nature à favoriser la fraude et orienter les clients vers les services gratuits. Autant de faits qui induiraient la baisse du volume du trafic à destination du Sénégal.
Pour étayer la thèse qu’elle avait échafaudée, la direction de la Sonatel a publié un communiqué, quelques mois après l’application de la surtaxe. « Cette mesure de surtaxe, en sept mois et demi d’application entre 2011 et 2012, a fait chuter le trafic entrant et entraîné une inflation des prix arrivée (essentiellement supporté par la diaspora) et départ Sénégal », rapportait le communiqué daté de mai 2012. L’opérateur historique, par la voix de son Directeur général d’alors, Cheikh Tidiane Mbaye, nous apprenait que cette baisse du trafic entrant serait de l’ordre de 25 à 30% pour la Sonatel. Une baisse, qui selon lui, a impacté sur le résultat net et l’impôt perçu par l’Etat : « des pertes estimées à 15,6 milliards FCFA sur le chiffre d’affaires et 7,5 milliards F CFA sur les charges ».
Contradictoirement à ce discours, la Sonatel a maintenu les tarifs tant décriés, après l’abrogation du décret instituant la surtaxe. L’augmentation des tarifs en catimini démontre à suffisance que la surtaxe fixée par l’Etat n’avait pas d’incidences négatives sur la compétitivité et la fraude comme les opérateurs veulent le faire croire.
Au regard de ces faits, il serait normal pour l’Etat d’envisager de nouvelles taxes sur le trafic entrant, au lieu de laisser le champ libre aux opérateurs qui seuls profitent de cette manne. Ceci est d’autant plus logique que l’Etat, financièrement exsangue, contracte de lourds prêts dans le cadre du Pse, alors qu’il peut tirer des ressources importantes de cette rente. En guise d’exemple, la mise en œuvre du processus de facturation des opérateurs pour les volumes de trafic international terminés au Sénégal au cours des mois d’août et septembre a permis à l’Artp de collecter 22 milliards 925 millions de F CFA. Ce qui prouve l’importance des enjeux financiers dans ce dossier.
Mais l’Etat ne semble pas s’orienter vers cette option. Lors du conseil des ministres du jeudi 9 avril, Yaya Aboul Kane, ministre des Postes et des Télécommunications l’a clairement exprimé. « Des dispositions sont désormais prises pour permettre à l’autorité de régulation d’exercer un contrôle approprié sur les appels entrants locaux et sortants du Sénégal, exercice non assujetti à une surtaxe pouvant entraîner une quelconque hausse des tarifs de communication », soutient-il.
Même sur la question du contrôle du trafic des appels internationaux, la Sonatel ne fait pas mystère de son opposition à ce dispositif. Cette position, l’opérateur l’a exprimée à plusieurs occasions. Le 8 avril dernier, Mamadou Aidara Diop responsable du personnel de la Sonatel a réitéré ce refus. « Nous ne voulons pas d’un contrôle permanent, car seul le contrôle ponctuel est permis », répond-il à Pressafrik.com. Un nouveau bras de fer qui s’annonce.
(Source : La Gazette, 17 mai 2015)