Yann-Gabriel N’ZI (VITIB) : « Notre ambition est de faire de la Côte d’Ivoire un hub technologique régional »
lundi 7 juillet 2025
A l’heure où la cybersécurité s’impose comme un levier de souveraineté numérique en Afrique de l’Ouest, les zones franches technologiques prennent une place stratégique dans la défense des écosystèmes nationaux. Directeur technique du Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie (VITIB SA), Yann-Gabriel N’ZI détaille, en marge du Cyber Africa Forum 2025 qui s’est tenu fin juin à Cotonou, les axes prioritaires qui doivent hisser la Côte d’Ivoire au rang de hub numérique résilient.
Agence Ecofin : Quelles sont aujourd’hui les grandes priorités stratégiques du VITIB à l’heure où la cybersécurité devient un enjeu économique majeur ?
Yann-Gabriel N’ZI : En tant que zone franche technologique et vitrine de l’innovation en Afrique de l’Ouest, le VITIB place la cybersécurité au cœur de ses priorités structurelles. C’est en effet un pilier pour garantir la confiance numérique, renforcer l’attractivité économique et préserver la souveraineté technologique, tant de notre écosystème que de la Côte d’Ivoire.
Nos grandes priorités stratégiques dans ce contexte s’articulent autour du renforcement continu de nos infrastructures critiques, avec notamment le développement de data centers sécurisés et conformes aux standards internationaux les plus exigeants. Nous mettons également en avant les entreprises spécialisées en cybersécurité déjà implantées dans la zone franche, afin de favoriser les synergies et les solutions locales. Nous accordons enfin une attention particulière à la valorisation des compétences humaines, en soutenant activement les initiatives de formation, de sensibilisation et de transfert de savoir-faire autour des enjeux de sécurité numérique.
À travers ces actions, le VITIB entend jouer pleinement son rôle de catalyseur technologique en Afrique de l’Ouest, en proposant aux opérateurs un environnement à la fois innovant, sécurisé et compétitif.
AE : L’édition 2025 du CAF est placée sous le thème de la résilience des écosystèmes numériques. Alors que le VITIB a su attirer une centaine d’entreprises en 20 ans d’existence en Côte d’Ivoire, quels outils ou services concrets proposez-vous aux entreprises pour leur permettre de prévenir et gérer les cyberattaques ?
YGN : Dès l’origine, notre Village de l’Innovation a été conçu comme un environnement sécurisé, capable d’accompagner des entreprises technologiques à tous les niveaux de maturité. Plus qu’un simple parc technologique, le VITIB incarne un véritable écosystème où les entreprises partagent un langage commun, collaborent activement et échangent leurs expertises pour progresser ensemble. Cette dynamique collaborative constitue l’un des piliers de notre approche : les solutions développées par certains deviennent rapidement des leviers de croissance pour les autres, créant ainsi une chaîne de valeur collective au sein de la zone.
« Les solutions développées par certains deviennent rapidement des leviers de croissance pour les autres, créant ainsi une chaîne de valeur collective au sein de la zone. »
Grâce à ce modèle, les entreprises installées au VITIB et en dehors ont accès à des infrastructures d’hébergement de pointe, notamment dans des data centers hautement sécurisés et redondants, qui garantissent la disponibilité des services ainsi que la protection physique et logique des données. Elles bénéficient également de connexions privilégiées avec un réseau de prestataires spécialisés en cybersécurité, proposant des prestations allant des audits et tests de vulnérabilité à l’accompagnement en matière de conformité réglementaire ou de stratégie de sécurité. L’ensemble de ces dispositifs permet de soutenir la montée en maturité numérique des entreprises tout en leur assurant un socle robuste de résilience et de sécurité opérationnelle, au service de leur compétitivité.
AE : Au cours du CAF, la ministre béninoise du Numérique a insisté sur l’humain comme première barrière contre la cybercriminalité. Quel dispositif de formation continue et de sensibilisation est mis en place par le VITIB pour que chacun de vos usagers devienne un véritable acteur de sa propre sécurité numérique ?
YGN : Nous partageons pleinement cette approche, car la cybersécurité ne peut véritablement être efficace sans une culture collective du risque numérique. C’est dans cet esprit que le VITIB travaille sur un programme continu de sensibilisation à destination de ses équipes et des entreprises partenaires. Ce programme s’appuie sur des formations pratiques et régulières, la diffusion de supports pédagogiques tels que des guides utilisateurs, des alertes de sécurité ou encore des fiches réflexes, ainsi que l’organisation de simulations d’attaques, comme des campagnes de phishing, pour tester les réflexes et renforcer la vigilance.
Parallèlement, nous travaillons activement à la création de la VITIB Digital Academy, un espace digital entièrement dédié à la formation, avec pour ambition de démocratiser les métiers du numérique, notamment dans le domaine de la cybersécurité. Notre objectif est de permettre à chaque acteur, professionnel ou passionné, de devenir un maillon actif de la chaîne de sécurité numérique, au sein de son environnement.
AE : Le commissaire général du CAF Franck Kie a appelé les participants à mutualiser les moyens et bâtir une alliance continentale permanente sur la cyberdéfense. Quelles architectures techniques ou quels protocoles de partage d’informations de cybersécurité jugez-vous pertinents pour faciliter la détection rapide et la réponse coordonnée aux incidents au sein de l’écosystème numérique ouest-africain et continental ?
YGN : Le VITIB adhère pleinement à l’idée d’une cyberdéfense panafricaine reposant sur la coopération entre États, acteurs privés et organisations régionales. Dans un monde de plus en plus interconnecté, les menaces ne connaissent pas de frontières et seule une réponse coordonnée permettra à nos pays de se protéger efficacement.
« Dans un monde de plus en plus interconnecté, les menaces ne connaissent pas de frontières et seule une réponse coordonnée permettra à nos pays de se protéger efficacement. »
Plusieurs axes de travail pourraient contribuer à faire émerger une véritable solidarité numérique en Afrique. Il s’agit par exemple de la mise en réseau des structures nationales de réponse aux incidents, afin de faciliter le partage d’informations, l’assistance mutuelle et la coordination en cas de crise. L’adoption de standards ouverts pour échanger en temps réel des données sur les menaces, les vulnérabilités ou les incidents, ainsi que la création d’une plateforme panafricaine de veille et d’alerte, accessible aux États et aux entreprises peuvent également renforcer la résilience de l’écosystème numérique africain.
Une telle approche favorisera la montée en puissance collective du continent sur les enjeux de cybersécurité, tout en préservant nos souverainetés respectives. Le VITIB est par ailleurs prêt à héberger ces solutions, en s’appuyant sur ses infrastructures, l’appui institutionnel de l’Etat ivoirien et son réseau de partenaires.
AE : Comment jugez-vous l’adéquation du cadre réglementaire ivoirien actuel avec les exigences de résilience numérique, et quelles évolutions proposeriez-vous pour favoriser l’innovation tout en garantissant la sécurité ?
YGN : La Côte d’Ivoire a déjà franchi des étapes importantes, notamment avec sa loi sur la protection des données personnelles et la régulation assurée par l’ARTCI (Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire, Ndlr). Cependant, l’évolution rapide des menaces et des technologies nous impose de faire évoluer ce cadre. L’introduction de mesures incitatives pour les entreprises qui intègrent la sécurité dès la conception de leurs produits et le développement de cadres réglementaires souples sont des axes à explorer. On doit aussi renforcer la coopération réglementaire sous-régionale, pour harmoniser les pratiques et fluidifier les échanges de données sécurisées. Il est essentiel que la réglementation accompagne l’innovation, sans jamais la freiner.
« Il est essentiel que la réglementation accompagne l’innovation, sans jamais la freiner. »
AE : Le VITIB envisage-t-il de nouveaux leviers d’investissement ou de partenariats technologiques pour renforcer la résilience numérique de ses infrastructures ?
YGN : Notre ambition est de positionner la Côte d’Ivoire comme un véritable hub technologique régional, en mettant en avant l’innovation, la compétitivité et la sécurité numérique.
Dans cette perspective, notre levier principal est le renforcement de notre politique d’ouverture internationale. Nous travaillons activement à la création et à la consolidation de partenariats stratégiques avec des pays tels que le Canada, l’Inde, le Maroc ou encore le Bénin. Ces collaborations nous permettent de capitaliser sur des synergies concrètes, notamment en matière de cybersécurité, à travers le partage de bonnes pratiques, le transfert de technologies, ou encore la montée en compétences de nos ressources humaines. Nous sommes convaincus que la souveraineté numérique de l’Afrique de l’Ouest passera par des alliances solides et une capacité accrue à maîtriser les infrastructures critiques.
« La souveraineté numérique de l’Afrique de l’Ouest passera par des alliances solides et une capacité accrue à maîtriser les infrastructures critiques. »
C’est dans ce sens que le VITIB entend jouer un rôle central, en devenant un levier structurant de cette souveraineté, au bénéfice de tout l’écosystème régional.
Propos recueillis par Emiliano Tossou
(Source : Agence Ecofin, 7 juillet 2025)