Portées par l’essor des technologies mobiles et la confiance ancrée dans les pratiques communautaires, les tontines numériques s’affirment progressivement comme une alternative efficace aux circuits traditionnels de microfinance au Sénégal. Ce modèle hybride, alliant solidarité traditionnelle et outils numériques, redéfinit profondément les modalités d’accès au financement pour des milliers de Sénégalais exclus du système bancaire formel.
Selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), environ 70 % de la population adulte en Afrique de l’Ouest ne dispose pas de compte bancaire, tandis que plus de 80 % possèdent un téléphone mobile. C’est à cette intersection que se développent les tontines numériques : une version dématérialisée des cercles d’épargne rotatifs, gérée via des applications mobiles, des plateformes USSD ou des groupes de messagerie sécurisés. Au Sénégal, des startups telles que MaTontine, Sooretul ou Kobiri ont investi ce créneau, en structurant ces cercles d’épargne de manière plus transparente, traçable et connectée à des services financiers complémentaires.
Contrairement aux tontines traditionnelles, les versions numériques permettent l’automatisation des cotisations, la sécurisation des fonds à travers des portefeuilles mobiles, ainsi qu’un accès progressif au crédit, à la micro-assurance ou à l’épargne bloquée. L’historique des contributions peut servir de preuve de solvabilité auprès d’institutions partenaires, facilitant une formalisation progressive du profil financier des utilisateurs.
L’impact est particulièrement notable pour les femmes et les travailleurs du secteur informel. Selon une étude réalisée en 2023 par le Fonds d’innovation pour le développement, plus de 60 % des utilisateurs de plateformes de tontines numériques sont des femmes, souvent chefs de ménage ou commerçantes dans l’informel. Ces outils leur offrent une meilleure maîtrise de leur épargne et un moyen de financer leurs activités économiques sans recourir aux circuits bancaires rigides ou aux institutions de microfinance aux taux parfois prohibitifs.
Malgré cet engouement, des défis subsistent. L’adoption reste inégale dans les zones rurales, où la fracture numérique freine la généralisation du modèle. Par ailleurs, la réglementation, encore peu définie, peine à suivre le rythme rapide de l’innovation dans ce secteur. La BCEAO a toutefois engagé un processus de concertation avec les acteurs du numérique financier pour encadrer ces pratiques et garantir la protection des usagers, notamment en matière de gestion des données et de transparence des frais.
En s’appuyant sur la logique communautaire profondément enracinée dans les pratiques sénégalaises, les tontines numériques parviennent à conjuguer confiance sociale et innovation technologique. Elles tracent ainsi une voie originale vers l’inclusion financière, où l’accès au financement ne dépend plus uniquement d’un guichet bancaire, mais d’un réseau solidaire interconnecté. Cette transformation, discrète mais significative, redessine les contours de la microfinance au Sénégal.
Source : Seneweb, 14 juin 2025)