Taxe sur les transactions mobiles : Les opérateurs craignent un impact négatif sur les consommateurs
lundi 15 septembre 2025
Dans le cadre de la mobilisation de ressources pour financer le Plan de redressement économique et social (Pres) 2025-2028, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé une batterie de mesures dont la « fiscalisation du mobile money, du transfert marchand ». Laquelle mesure suscite déjà des inquiétudes et résistances chez les vendeurs et usagers, qui redoutent « une hausse des frais et un frein à l’inclusion financière », entre autres impacts négatifs.Devant se pencher sur cette nouvelle taxe ce lundi 15 septembre 2025 dans le cadre de l’examen du projet de loi modifiant certaines dispositions du Code général des impôts, du projet de loi portant Code des investissements et du projet de loi modifiant la loi n°2008-16 instituant une redevance ou l’utilisation du Réseau des télécommunications publiques (Rutel), des parlementaires ne manqueraient pas d’interpeller les autorités sur ces questions.Par Dialigué FAYE –
Alerte sur la fiscalisation des Services financiers numériques (Sfn), notamment les transactions d’argent mobile et le paiement marchand.
Dans le cadre des échanges que Le Quotidien a menés ces dernières semaines avec différents acteurs de l’écosystème, qu’il s’agisse de marchands, d’agents ou encore de clients, plusieurs voix s’élèvent pour attirer l’attention des autorités étatiques sur les effets néfastes qu’une telle mesure pourrait engendrer.
Pour rappel, le gouvernement prévoit d’instaurer une nouvelle taxe sur le mobile money dans le cadre de la mobilisation de ressources financières pour son Plan de redressement économique et social (Pres) 2025-2028, avec l’objectif de mobiliser 220 milliards de francs Cfa en trois ans.
L’Assemblée nationale devrait se réunir ce lundi 15 septembre 2025 pour examiner le projet de loi du Code général des impôts instituant cette nouvelle taxe. L’exposé des motifs du projet de loi renseigne que « le taux de la nouvelle Taxe sur les opérations de transfert d’argent (Tta) est fixé à 0, 5% et son montant est plafonné à 2000 francs Cfa par transaction.
Cette taxe s’applique aux opérations de transfert réalisées par tout moyen ou support technique laissant trace, notamment par voie électronique, téléphonie mobile, télégraphique ou par voie de télex ou télécopie, y compris le transfert postal.
La taxe est également applicable lorsqu’un paiement est effectué par usage d’un code marchand. Le montant reçu par le titulaire du code marchand fait l’objet d’un prélèvement de 0, 5% par l’opérateur de transfert d’argent.
Cependant, les opérateurs de dépôt d’espèces, pour conversion en monnaie électronique auprès des opérateurs de transfert d’argent, sont exonérés de ce prélèvement, comme tous les retraits d’espèces au niveau des guichets de transfert lorsque le montant retiré, en une journée, ne dépasse pas 20 000 francs Cfa. Au-delà de ce montant, il est fait application sur le retrait du prélèvement au taux de 0, 5%, plafonné à 2000 francs Cfa ».
Un frein à l’inclusion financière
Cela suscite de vives inquiétudes chez les experts du secteur, qui prédisent une kyrielle d’impacts négatifs. Ils estiment que « cette réforme fiscale aura un impact négatif sur l’inclusion financière, privant des millions de personnes de services financiers numériques abordables ».
Elle augmentera également « les coûts des ménages, touchant particulièrement les familles à faibles revenus, les femmes, les commerçants, les étudiants et les petites entreprises qui dépendent quotidiennement de l’argent mobile ». « Plutôt que d’augmenter les recettes de l’Etat, cette réforme ralentirait la perception des impôts en repoussant les utilisateurs vers l’économie informelle, basée sur les transactions en espèces. »
Actuellement, plus de 90% des Sénégalais de plus de 15 ans utilisent les portefeuilles électroniques, devenus un outil incontournable dans un pays où le taux de bancarisation reste faible (26%). Pour cette année, « 15 300 milliards de francs Cfa de transactions sont déjà enregistrés, reflétant non seulement la croissance d’un secteur financier, mais aussi un changement profond dans la relation des Sénégalais avec l’argent ». Pour les experts, « chaque transaction d’argent mobile devient un acte bancaire informel, révélant une utilisation civique de la finance qui échappe aux canaux traditionnels. Cette adoption massive transforme la vie économique et sociale quotidienne, établissant de nouvelles pratiques en matière de paiements, d’épargne et de circulation des fonds ».
Au-delà des chiffres, soulignent-ils, « cette dynamique redessine les liens entre les individus et les institutions. La confiance se déplace des banques et des structures traditionnelles vers les plateformes numériques, qui deviennent des infrastructures invisibles de solidarité et d’échange. Les flux financiers numériques reflètent ainsi les solidarités interpersonnelles et communautaires, mécanismes informels de soutien qui accompagnent la vie économique locale ».
Une concertation nationale préconisée
Suffisant pour que ces acteurs mettent en garde contre « une taxation mal calibrée », estimant qu’elle pourrait « alourdir le coût de la vie, décourager l’utilisation du mobile money et faire revenir l’usage de l’argent liquide ». Ils recommandent une concertation nationale et une fiscalité équilibrée afin d’éviter les effets négatifs observés dans d’autres pays.
En guise d’exemple, ils citent « le Cameroun qui a introduit une taxe de 0, 2% sur les transferts et les retraits d’argent mobile, à compter du 1er janvier 2022. Bien que le gouvernement camerounais considère cette mesure comme un moyen d’élargir sa base fiscale et de diversifier ses sources de revenus, rapporte-t-on, cette taxe a suscité des inquiétudes quant à ses effets négatifs potentiels sur l’inclusion financière ». La taxe a affecté non seulement les personnes qui utilisent les services d’argent mobile, mais aussi les agents de ce secteur. Les résultats d’une enquête ont révélé que « la plupart des agents ont une perception négative de la nouvelle taxe, citant son effet néfaste sur leurs clients et leur activité dans le secteur de l’argent mobile ».
Des cas d’échec
Comme autre cas d’échec, nos interlocuteurs invoquent l’Ouganda qui, en juillet 2018, a instauré une nouvelle taxe sur la valeur des transactions d’argent mobile. Cette taxe a été introduite rapidement, sans suivre le processus habituel d’élaboration des politiques fiscales. Entre autres défauts de conception, tous les types de transactions étaient initialement taxés séparément, ce qui entraînait de multiples couches d’imposition pour le client. Cette nouvelle taxe était venue s’ajouter aux taxes générales existantes sur les frais de l’argent mobile, introduites pour la première fois en 2013. Face aux protestations généralisées et à la forte pression politique, le gouvernement a fait machine arrière en novembre 2018, abaissant le taux et limitant l’assiette de la taxe aux retraits. Si la valeur et les volumes agrégés des transactions ont d’abord chuté, ils se sont ensuite rapidement redressés, mais une différence de 20% persiste.
Le secteur et les utilisateurs semblent avoir progressivement accepté la taxe, qui génère des recettes modestes (un peu moins de 50 millions de dollars Us en 2022-2023, soit environ 10% du total des droits d’accise perçus), bien qu’elle continue d’être critiquée pour la distorsion du traitement fiscal des Sfn par rapport aux services financiers traditionnels.
Au Kenya et en Tanzanie, des taxes sur les frais de transaction ont été instaurées dès 2013. Présentées à l’époque comme supportables pour l’écosystème, elles ont pourtant eu un effet pervers : si les volumes globaux de transactions n’ont pas fortement reculé, ce sont surtout les usagers aux revenus les plus modestes qui en ont payé le prix, chaque petite opération se voyant surtaxée de manière disproportionnée.
Dialigué Faye
(Source : Le Quotidien, 15 septembre 2025)