Le 1er août dernier, le Premier ministre Ousmane Sonko a dévoilé un plan de redressement économique et social (2025-2028) visant à mobiliser 220 milliards de FCFA pour sortir le Sénégal d’une crise financière critique, marquée par un déficit budgétaire de 12,3 % et une dette publique frôlant 99,67 % du PIB, selon un rapport de la Cour des comptes publié en février 2025. Parmi les mesures phares, une nouvelle taxe sur les transactions de mobile money – 0,5 % sur toutes les transactions et 0,1 % appliquée directement aux clients – ainsi qu’une fiscalisation des sites de paris sportifs, comme annoncé par Seneweb. Dans un pays où plus de 90 % des adultes utilisent des portefeuilles électroniques, cette mesure suscite une vive inquiétude. L’Union Nationale des Consommateurs du Sénégal (UNCS) monte au créneau, dénonçant une réforme qui pourrait compromettre l’inclusion financière et alourdir le fardeau des ménages modestes. Les expériences d’autres pays africains appellent à la prudence face à une telle politique fiscale.
Une fiscalité numérique ambitieuse mais controversée
Lors de la présentation du plan, Ousmane Sonko a ciblé le secteur numérique, jusqu’ici sous-fiscalisé, comme une « niche » pour renflouer les caisses de l’État. « Nous avons énormément de niches, notamment dans le secteur du numérique. C’est un secteur en plein essor, mais qui jusque-là est sous-fiscalisé ou pas du tout fiscalisé. Il s’agit des jeux de hasard, en ligne, du mobile money, des transferts marchands, etc. », a-t-il déclaré, selon Seneweb. Cette taxe, adoptée le 30 juillet par le conseil des ministres, inclut également une taxe de 1,5 % sur les paiements marchands, visant à générer des recettes pour réduire le déficit budgétaire. Cependant, l’UNCS, dans une contribution datée du 15 septembre 2025, met en garde contre les « enjeux sociaux, économiques et financiers » de cette mesure, qui risque de freiner la dynamique de digitalisation et d’inclusion financière au Sénégal.
Le mobile money, un levier d’inclusion financière
Avec 15 300 milliards de FCFA de transactions enregistrées en 2025, selon les statistiques de la BCEAO et du ministère des Finances, le mobile money (Orange Money, Wave, Free Money, etc.) est devenu un outil incontournable pour les Sénégalais, particulièrement en zones rurales et périurbaines. « Cette introduction a considérablement réduit la circulation physique des billets, limité les risques liés au transport de liquidité et favorisé la digitalisation progressive de l’économie informelle », note l’UNCS. Dans un pays où le taux de bancarisation reste faible (26 %), plus de 90 % des adultes utilisent des portefeuilles électroniques pour les paiements, transferts et épargne de proximité. Les frais de transfert, réduits à 1 % (contre 4 % en 2018) grâce à l’arrivée d’acteurs comme Wave, ont permis aux Sénégalais d’économiser environ 125 milliards de FCFA par an. Comme le souligne le DIGITAX BULLETIN : « Chaque transaction d’argent mobile devient un acte bancaire informel, révélant une utilisation civique de la finance qui échappe aux canaux traditionnels. »
Les risques d’une taxation mal calibrée
L’UNCS alerte sur les multiples impacts négatifs de la taxe proposée. Selon son analyse, cette mesure pourrait :
– Augmenter le coût des transactions : La taxe de 0,5 % sur toutes les transactions et 0,1 % appliquée directement aux clients s’ajoutera aux frais déjà imposés par les opérateurs, alourdissant le coût pour les usagers, notamment les ménages à faible revenu.
– Encourager le retour au cash : « Si les frais deviennent trop lourds, les consommateurs risquent de revenir massivement au cash, annihilant les efforts consentis depuis des années pour réduire la manipulation des espèces avec les risques de vols, pertes et d’insécurité que cela engendre », prévient l’UNCS.
– Pénaliser les ménages vulnérables : Les petites transactions (2 000 à 10 000 FCFA) envoyées par des proches, vitales pour les ménages modestes, seront particulièrement affectées. « Même une taxation faible peut représenter un fardeau disproportionné sur ces petits montants, réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs », explique l’UNCS.
– Créer une double imposition : Avec les frais des opérateurs et la nouvelle taxe étatique, les consommateurs pourraient percevoir une « injustice fiscale », d’autant qu’ils contribuent déjà via la TVA et les droits de douane.
– Freiner l’inclusion financière : « Le Sénégal a fait des progrès remarquables en matière d’inclusion financière grâce au mobile money. Taxer les transactions risque de ralentir cette dynamique et d’exclure à nouveau des milliers de Sénégalais du système formel », souligne l’UNCS.
– Décourager la digitalisation : Alors que l’État promeut les paiements électroniques pour les factures d’eau, d’électricité ou les frais administratifs, la taxe pourrait décourager les utilisateurs.
– Réduire la compétitivité régionale : Certains pays de l’UEMOA subventionnent le mobile money pour encourager son adoption, ce qui pourrait placer le Sénégal en décalage.
– Accroître la méfiance envers les politiques fiscales : Les consommateurs pourraient percevoir cette mesure comme une « exploitation abusive » d’un outil du quotidien.
Les recommandations de l’UNCS pour une fiscalité équitable
Face à ces risques, l’UNCS propose des alternatives pour concilier les besoins fiscaux de l’État et la protection des consommateurs :
– Renoncer à taxer directement les clients : L’État pourrait taxer les bénéfices nets des opérateurs, qui réalisent des marges importantes, plutôt que les usagers.
– Cibler les gros transferts : Limiter la taxe aux transactions supérieures à 500 000 FCFA pour épargner les petits usagers.
– Encourager la concurrence : Renforcer l’interopérabilité et soutenir de nouveaux acteurs pour réduire les coûts des transactions.
– Créer un fonds de soutien : Réinvestir les recettes fiscales dans des projets favorisant l’inclusion financière, comme la subvention des frais de transfert, la formation à la finance numérique ou l’extension du réseau en zones rurales.
– Ouvrir un dialogue inclusif : Organiser une concertation avec les associations de consommateurs, les opérateurs et les partenaires sociaux pour définir une politique fiscale juste.
« Le mobile money est devenu un service de première nécessité, au même titre que l’eau, l’électricité ou la téléphonie. Y appliquer une taxation directe sur les clients revient à pénaliser les plus vulnérables et à compromettre des acquis importants en matière de modernisation économique et d’inclusion financière », conclut Ibrahima Dramé, président de l’UNCS.
(Source : Seneweb, 15 septembre 2025)