Souveraineté numérique : le Sénégal proche du but, mais encore loin de l’impact !
jeudi 18 décembre 2025
Chaque fin d’année agit comme un révélateur. Elle oblige à quitter le confort des intentions pour affronter la réalité des faits. Dans le paysage numérique sénégalais, l’année 2025 restera comme celle d’une inflation lexicale sans précédent autour d’un concept devenu central : la souveraineté numérique. Rarement une expression aura été aussi répétée, aussi mobilisée, aussi revendiquée. Elle est désormais le point d’entrée de presque tous les discours officiels et leur conclusion obligée, le socle affiché des stratégies publiques et le marqueur politique d’une ambition nationale.
Il serait intellectuellement malhonnête de nier ce que cette centralité révèle. Elle traduit une prise de conscience réelle, tardive mais nécessaire, des enjeux de dépendance technologique, de captation des données, de vulnérabilité des États face aux plateformes globales et de perte de maîtrise sur des infrastructures critiques. En ce sens, 2025 n’a pas été une année creuse. Des projets ont été annoncés, des initiatives engagées, des cadres stratégiques posés. Le Sénégal n’a sans doute jamais été aussi proche du but.
Mais dans le numérique, la proximité ne vaut rien sans rigueur. Ce secteur ne récompense ni l’intention ni la rhétorique. Il sanctionne l’imprécision, l’approximation et les retards. La souveraineté numérique n’est pas un récit. Elle est une construction lente, technique, parfois ingrate, faite d’architectures, de bases de données, de procédures, de maintenance et de continuité de service. Elle commence toujours par le bas, par ce que vit le citoyen, par ce que l’administration est réellement capable de délivrer sans friction.
Et c’est précisément là que le décalage apparaît. En 2025, malgré les annonces, malgré les stratégies, malgré les promesses, un citoyen sénégalais ne peut toujours pas, de manière simple, fluide et généralisée, obtenir en ligne les documents administratifs les plus élémentaires. L’extrait de naissance reste un parcours. Le casier judiciaire reste une file. Le passeport reste une attente. Ces réalités ne relèvent pas de l’anecdote : elles sont le thermomètre exact de la transformation numérique d’un État.
On peut parler d’intelligence artificielle, de cloud souverain, de cybersécurité avancée. Mais tant qu’un citoyen doit se déplacer physiquement pour prouver son existence administrative, la souveraineté numérique reste un concept bien formulé, pas une réalité vécue.
Ce constat est d’autant plus troublant que des pays de la sous-région avancent sur ces fondamentaux sans bruit excessif ni inflation sémantique. Le Bénin a fait de la modernisation de l’état civil et de l’identité numérique une priorité opérationnelle, avec des plateformes utilisées par les citoyens. La Mauritanie progresse sur des services numériques simples, accessibles, mais fonctionnels. Le Togo, en s’attaquant à la digitalisation de la gestion des retraites, montre qu’il est possible de traiter des sujets complexes et sensibles lorsque le numérique est pris au sérieux.
Il ne s’agit pas ici de comparer le Sénégal aux champions mondiaux que sont l’Estonie, Singapour, la Chine ou les États-Unis. À défaut de les rattraper, regardons déjà ce que font correctement nos voisins. Dans le numérique public, le fonctionnel vaut toujours mieux que le spectaculaire.
Le Sénégal, il faut le dire clairement, est un champion incontesté des projets, des stratégies et des ateliers. Peu de pays produisent autant de visions, de feuilles de route, de cadres de réflexion. Le problème n’est donc pas l’absence d’idées. Le problème est l’exécution. La souveraineté numérique ne se décrète pas dans un document stratégique. Elle se prouve dans la durée, dans la capacité à livrer, à maintenir, à corriger, à faire évoluer des systèmes.
À ce titre, certaines annonces majeures faites en 2025 appellent aujourd’hui des réponses claires. J’attends beaucoup de la dématérialisation intégrale des procédures de l’administration annoncée en grande pompe. J’attends tout autant des nouvelles concrètes sur la digitalisation intégrale du courrier administratif demandée par le Premier ministre, dont l’effectivité était attendue dès le mois d’octobre dernier. Dans un État qui se veut numérique, l’absence d’information est déjà un dysfonctionnement.
Car le numérique impose une autre exigence : la réactivité. Un ministère en charge du numérique ne peut pas fonctionner comme une administration classique. Il doit répondre à temps aux appels du secteur, partager l’information, expliquer ses choix, assumer ses retards, dialoguer avec les acteurs. La souveraineté numérique ne se construit pas derrière des portes closes.
C’est ici que la question de la gouvernance devient centrale. Choisir un Ministère pleinement numérique, qui, non seulement demeure à l’écoute du secteur, mais ouvre ses portes et joue le jeu. Le Sénégal se construit avec son secteur privé, qui, de tout temps, a fait presque l’essentiel des stratégies avant une appropriation par l’équipe gouvernementale en place. L’ignorer serait une faute stratégique.
Choisir un ministère pleinement orienté dans le numérique, séparé de la communication. Ce choix n’est pas symbolique. Il est structurant. Il s’agit de montrer enfin que le Sénégal a compris les enjeux, de bâtir un véritable État plateforme, capable d’interconnecter ses administrations, de capitaliser sur les initiatives existantes, de rationaliser les projets et surtout de ne pas ouvrir trop de chantiers en même temps.
Car la dispersion est l’ennemie de la souveraineté. Un État souverain numériquement est un État qui priorise, qui arbitre, qui livre peu mais bien, et qui améliore en continu. Il communique moins qu’il ne construit.
Si 2025 a été l’année où la souveraineté numérique a dominé les discours et les débats publics, alors 2026 devra être celle de la confrontation avec le réel. Le Sénégal n’a jamais été aussi proche du but. Mais dans le numérique, la proximité ne suffit pas. Seule la rigueur permet d’arriver.
(Source : Le Techobservateur, 25 décembre 2025)
OSIRIS