Le monde des médias bouge, les processus de transition vers le numérique et
d’adaptation aux nouveaux supports sont presque achevés dans certains
paysages médiatiques.
Mais dans cet effort constant d’évolution des lignes journalistiques, la presse
sénégalaise a tout l’air d’avoir raté le coche.
D’infox en infox
Le phénomène des fake news et la facilité avec laquelle il emporte dans un
tourbillon de désinformation la quasi-totalité des sites d’information est
révélateur d’un problème qui ne date pas d’hier. La presse en ligne, concentre à elle seule toutes les tares du cercle médiatique.
Dans un grand nombre de cas, l’instantanéité qui mène certains droit dans le mur relève de l’absence d’une vérification primaire à laquelle se prêtent mieux les journalistes de presse écrite que les administrateurs de pages web plus outillés à reproduire le travail des premiers cités le lendemain qu’à traiter une information primaire.
La volonté d’avoir le scoop synonyme d’un maximum d’affluence n’aidant pas, on en arrive facilement à couvrir ses méprises par un refus de rectification.
Loin de nous l’idée de nier la possibilité d’erreur commune à tout média mais la légèreté avec laquelle elle survient et se répète prouve que le mal est bien plus profond.
Site d’information, au Sénégal, c’est quoi au juste ?
Quelques milliers de francs pour un nom de domaine et l’accès à la plateforme de rédaction de contenus, une description toute stéréotypée de la vocation de son média à base de « Toute l’actualité à chaud ou à temps réel » et le tour est joué.
On fait partie des plus de 300 sites (https://youtu.be/gPW3R1cqEVw) qui se
réclament « d’information » ou font semblant d’agir comme tels.
Parmi eux, des « géants » : Senego, Seneweb, Senegal 7 soit des centaines de milliers de followers de moins en moins occupés à lire un journal ou suivre un programme audiovisuel d’information…
Grands comme petits, les modèles professionnels et éditoriaux de ces portails
restent incroyablement flous depuis leur apparition mais les ressorts de leur
viabilité économique ne sont plus inconnus.
Les techniques d’attrait de trafic,. elles aussi ne varient pas des pièges à clics, articles trompeurs, titres racoleurs jouant dangereusement sur les fibres religieuses ou artisanes et livrant à la vindicte des réseaux sociaux des
personnalités publiques aux propos déformés ou sortis de leur contexte.
La paresse journalistique ne va pas au-delà de la capacité de recopier
automatiquement et entièrement le contenu des quotidiens sans effort premier d’écriture, ni second effort de réécriture ni même citation évidente de « l’abreuvoir » médiatique, décidément trop grande preuve de l’absence de propriété intellectuelle.
La nouvelle manie en cette situation pré-électorale est de se faire l’écho de toutes les accusations gratuites possibles, l’essentiel étant qu’elles soient enrobées de propos chocs.
Hors, la fonction de relais du journaliste inclut un tri nécessaire ainsi qu’une
responsabilité dans la diffusion de nouvelles pouvant affecter l’intégrité de mis en cause.
Seul y perd, le lecteur, désarçonné par tout ce flux de paroles contradictoires.
La faute des majors
La responsabilité des grands médias est aussi engagée. La presse écrite est en grande partie coupable de ne toujours pas savoir comment s’y prendre dans l’espace numérique.
Reprise des codes des piètres précurseurs, peu d’efforts dans l’attractivité des plateformes, leur activité se résume à copier/coller sans enrichissement
multimédia ni véritable souci de l’interactivité et d’accessibilité au grand public.
Est-ce du dédain, de la méconnaissance de l’enjeu, de l’ignorance des pratiques ou une simple conséquence du sous-effectif immanent aux groupes de presse ?
Le constat en tout cas est qu’il n’y a rien de plus, majoritairement, qu’une
reproduction du journal papier sans aucune différence avec l’existant.
Même en radio ou télé on est encore incapable de s’adapter à l’ère des podcasts.
Décidément une simple création de comptes sur tous les réseaux sociaux
apparaît à tort pour certains comme une présence signifiante.
Le pouvoir public dans tout ça
Il est de coutume que les pouvoirs politiques ne voient pas d’un bon œil la solidité de la presse. Se parer en garant, emprunte des faux airs de démocratie soucieux de la pluralité mais l’assainissement de la presse n’est pas vraiment leur souci majeur comme peut en attester de régime en régime la situation inchangée de la RTS.
La capacité d’une presse indépendante et crédible à rendre compte de ses
errances n’est pas un grand atout pour le pouvoir. Toutefois, miser sur sa
décadence est une bien plus grande erreur. Il y va de la stabilité du pays mais aussi et surtout, de l’esprit critique de ses citoyens.
La diligence dans le suivi des pistes de solutions proposées et voulues par les
journalistes et non dictées sont les premières preuves de sa volonté.
De plus, l’initiation aux médias, maintes fois proposée jamais concrétisée devrait permettre à bon nombre de sénégalais d’acquérir des réflexes de discernement les plus élémentaires dans cette jungle d’informations.
« C’est eux, pas nous. »
Cette posture bien appréciable de journalistes quittes avec leur conscience ne
peut cependant perdurer à l’infini.
Depuis le début il n’est pas fait mention de ces pépites qui donnent espoir encore moins de la responsabilité du public dans ses choix et sa passion des fait divers et superficiel. Ces considérations sont plus que jamais à remettre au second plan des priorités.
Le premier champ de la presse (consciente) est d’abord celle de sa propre remise en cause pour ramener au rang de minorité ceux qui dévalorisent son milieu. L’aptitude à établir la crédibilité d’une information est acquise pour les familiers.Pour le simple internaute, non, ou pas forcément dans le contexte sénégalais. On ne lui a pas assez appris à évaluer la pertinence des sources et contenus. On ne peut qu’espérer que sa prudence soit dictée par les multiples mésaventures ou une conscience très tôt éveillée à certains dangers. Entre temps, il ne se privera pas de loger toute la presse en ligne, et par extension toute la presse, à la même enseigne.
Le code de la presse renferme certaines dispositions assez ambitieuses dans le domaine de la presse en ligne. Cependant, tout se joue(ra) sur leur rapidité d’application mais aussi et surtout leur effectivité.
On avait déjà applaudi l’obligation de modération des contenus haineux ou
discriminant mais il est aisé de constater, en parcourant le fil de commentaires des articles de Seneweb, qu’elle est allègrement foulée au pied.
Il faut plus que prier, mais agir pour que les prochaines innovations ne subissent pas le même sort.
À ce rythme, les réformes ne s’annoncent pas pour aujourd’hui et entre temps la cote de popularité de la presse étant au plus bas risque de revenir à néant quand viendra, pour tous les journalistes, le temps de s’y mettre.
Moussa Ngom
(Source : Moussa Ngom, 27 janvier 2019)