Sénégal : la Cour de la Cedeao condamne les coupures d’internet de 2023
jeudi 15 mai 2025
La Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a condamné l’État du Sénégal pour avoir violé les droits à la liberté d’expression, à l’information et au travail en coupant l’accès à Internet lors des manifestations de juin et juillet 2023. Le jugement a été rendu le 14 mai 2025 à Lagos (Nigeria), informe un communiqué de la Cour de la Cedeao, consulté par Ouestaf News.
Ces restrictions d’accès à Internet avaient été imposées lors des manifestations liées à la condamnation de l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, opposant à l’époque, en juin 2023.
Saisie par l’Association des utilisateurs des technologies de l’information et de la communication (Asutic) et le consultant en informatique Ndiaga Guèye, la Cour a estimé que les coupures n’étaient ni « légales » ni « proportionnées ». Elle y a vu une violation des engagements internationaux du Sénégal, dont la Charte africaine des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La Cour a jugé recevables les requêtes d’Asutic et de M. Guèye sur la liberté d’expression et l’accès à l’information. Elle a aussi accepté les demandes de M. Guèye concernant le droit au travail et la liberté de réunion, estimant qu’il avait un intérêt personnel et direct. En revanche, elle a rejeté les requêtes similaires d’Asutic, faute de préjudice propre et direct.
Par ailleurs, la Cour a réaffirmé que l’accès à Internet et aux réseaux sociaux constitue une composante essentielle du droit à la liberté d’expression et d’information. Elle a estimé que les coupures décidées par les autorités sénégalaises ne reposaient sur aucun fondement juridique clair, ne répondaient pas aux exigences de légitimité ni de proportionnalité. Les restrictions de l’Internet constituaient, de ce fait, une violation de l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a ajouté la Cour.
L’État du Sénégal justifiait ces coupures par des impératifs liés à l’ordre public et à la sécurité nationale, affirmant que la mesure visait à freiner la diffusion de messages jugés subversifs sur les réseaux sociaux.
Dans la décision rendue, la juridiction communautaire a accordé 250.000 FCFA de dommages à chacun des requérants pour la violation de leur liberté d’expression, ainsi qu’un montant additionnel de 250.000 FCFA à M. Guèye pour atteinte à son droit au travail. La Cour a ordonné au Sénégal de s’abstenir, à l’avenir, de toute restriction illégale de l’accès à Internet.
Entre 2021 et 2024, le Sénégal avait connu des périodes troubles avec des crises politiques ponctuées de de restriction de l’accès à l’Internet à chaque regain de tensions lors des manifestations violentes. Le gouvernement avait restreint l’accès aux données mobiles à plusieurs reprises durant cette période, justifiant ces mesures par la diffusion de messages « haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux. Des ONG, des syndicats et des organisations de journalistes avaient régulièrement dénoncé ces pratiques, qui avaient eu, selon Internet Society, un impact économique et social majeur.
(Source : Ouestaf, 15 mai 2025)