Radiations télécoms et cancer : une nouvelle étude financée par l’OMS relance le débat
mercredi 30 avril 2025
Le développement des télécoms dans le monde ne s’est pas toujours fait sans heurts. Des craintes non confirmées sur la dangerosité de la technologie ont parfois donné lieu à de farouches oppositions à son déploiement. Depuis 2020, l’inquiétude est portée sur la 5G qui promet de nombreuses opportunités économiques.
Une étude coordonnée par une équipe internationale de chercheurs révèle que l’exposition aux ondes des téléphones mobiles (RF EMF) pourrait augmenter certains cancers chez les animaux de laboratoire. Il s’agit de fréquences utilisées aussi bien pour la technologie sans fil WCDMA, TDMA, CDMA que GSM 3G et 4G. Publiée en avril 2025 dans la revue Environment International, cette étude financée en partie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a passé au crible 52 recherches expérimentales menées sur des rats et souris entre 1978 et 2020. Elle a évalué des décennies de données pour mieux comprendre les effets des radiations électromagnétiques sur la santé, dans un contexte mondial d’expansion de la 5G et des technologies sans fil, requérant de nouvelles fréquences.
En Afrique, la 5G mobile est déjà opérationnelle dans une quinzaine de pays. Selon ses spécifications techniques, la technologie peut réutiliser des fréquences dites bandes classiques ou basses, allouées pour les générations précédentes (700 à 2600 MHz) ; la bande dédiée autour de 3,5 GHz (3,4 - 3,8 GHz) et des fréquences plus élevées avec des bandes plus larges appelées fréquences millimétriques (26 GHz). Des fréquences supérieures sont également à l’étude. La 5G fonctionne sur un réseau d’antennes de type Massive MIMO (Multi Input Multi Output massif), groupement d’un grand nombre d’antennes élémentaires permettant de focaliser l’énergie dans des faisceaux d’émission étroits, orientés vers les utilisateurs à l’instant où ils en ont besoin. Au Nigeria, l’annonce de la 5G en 2020 avait suscité une vive inquiétude. Pour rassurer la population, le Sénat avait commandé une enquête sanitaire qui avait conclu à la sécurité de la technologie.
Des tumeurs rares, mais significatives
L’étude identifie deux types de cancers présentant un niveau de preuve « élevé » chez les animaux exposés à des radiofréquences (RF EMF) : les schwannomes malins, des tumeurs rares des nerfs périphériques, et les gliomes, des tumeurs cérébrales. Ces résultats reposent principalement sur deux études phares. La première, dans le cadre du National Toxicology Program américain (NTP), a exposé des rats Sprague Dawley à des ondes de 900 MHz (utilisées en 2G et 3G) à des niveaux dépassant largement les normes actuelles (6 watts par kilogramme, contre 0,08 W/kg autorisé en Europe). Après deux ans d’exposition quotidienne, 6 % des mâles ont développé des schwannomes cardiaques, contre zéro dans le groupe témoin. La seconde, conduite par l’Institut Ramazzini en Italie, a observé des résultats similaires à des doses bien plus faibles (0,1 W/kg), proches des limites réglementaires.
Ces tumeurs rares, mais qui apparaissent chez deux espèces différentes et dans des conditions d’exposition variées sont considérées par les chercheurs comme matière à approfondissement. L’étude note aussi une hausse modérée des lymphomes (cancers du système immunitaire) chez certaines souris, ainsi que des tumeurs des glandes surrénales et du foie. En revanche, aucun risque accru n’a été confirmé pour les cancers digestifs, rénaux ou mammaires. Les experts précisent que ces conclusions restent préliminaires et nécessitent des vérifications.
Un mécanisme encore mystérieux
Si le lien statistique est établi chez l’animal, les chercheurs avouent leur perplexité face aux mécanismes biologiques en jeu. Les ondes des télécoms, non ionisantes, ne portent théoriquement pas assez d’énergie pour endommager directement l’ADN. L’hypothèse privilégiée est celle d’un stress oxydatif : les champs électromagnétiques perturberaient l’équilibre des cellules, générant des radicaux libres susceptibles de favoriser des mutations. Des marqueurs de stress oxydatif ont été observés dans plusieurs études, même à faible dose.
Autre piste : un effet thermique subtil. Les normes actuelles, établies dans les années 1990, se fondent sur le seuil où les ondes provoquent un échauffement des tissus (4 W/kg). Or, l’étude du NTP a détecté des tumeurs à des niveaux inférieurs (1,5 W/kg), sans augmentation de température mesurable. Une hypothèse qui suggère que des effets non thermiques pourraient jouer un rôle, ce qui remet en cause les fondements des réglementations. Cependant, la traduction de ces résultats en une évaluation du risque pour l’homme reste complexe, reconnaissent les chercheurs, au regard des limites méthodologiques : exposition continue des animaux (jusqu’à 19 heures par jour), doses parfois extrêmes, ou variabilité des souches de rongeurs. De plus, seules 20 des 52 recherches analysées étaient des « bioessais chroniques » – le haut standard pour évaluer la cancérogénicité. Les autres études menées sur des animaux génétiquement modifiés offrent des preuves indirectes.
Un enjeu de santé publique
Ces travaux relancent toutefois le débat sur l’impact sanitaire de notre exposition quotidienne aux technologies sans fil. Une tendance qui est appelée à augmenter avec l’hyperconnexion en cours dans le monde. Bien que les niveaux d’exposition utilisés dans les études dépassent souvent ceux des usagers quotidiens, les experts appellent à la prudence, en particulier pour les enfants et les femmes enceintes. Les médecins recommandent d’éviter les expositions inutiles, ne pas dormir avec son téléphone à proximité, privilégier les kits mains libres, éviter les téléphones dans les poches de pantalons, désactiver le Wi-Fi la nuit, etc. En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classait déjà les RF EMF comme « potentiellement cancérigènes » pour l’homme, notamment en raison de suspicions sur les gliomes et les neurinomes de l’acoustique – des tumeurs proches des schwannomes. Malgré l’absence de preuves évidentes, du fait du faible nombre de recherches, l’organisme sanitaire préconisait aussi la prudence.
Du côté des assureurs, la menace des ondes électromagnétiques a été prise au sérieux. Depuis 2013, plusieurs réassureurs excluent les risques liés aux ondes électromagnétiques de leur police responsabilité civile, les jugeant « imprévisibles ».
Conscients des inquiétudes qui persistent, les chercheurs plaident pour des études complémentaires, notamment sur les effets cumulatifs des ondes et les fréquences utilisées par la 5G. Des modèles cellulaires humains pourraient aussi aider à mieux évaluer les risques sans recourir à l’expérimentation animale.
Muriel EDJO
(Source : Agence Ecofin, 30 avril 2025)