Le secteur des télécommunications a connu, ces dix dernières années, de profondes mutations qui ont fini par enfermer le modèle économique des opérateurs dans une véritable impasse.
En effet, avec la révolution numérique (l’arrivée de la 4G, 4G+ et 5G), l’explosion des usages chez les consommateurs, l’émergence d’acteurs digitaux de plus en plus agressifs et innovants, ainsi que la forte demande d’abondance du marché, les opérateurs historiques se retrouvent dans une impérieuse nécessité d’investir massivement. Ces investissements visent non seulement à moderniser les réseaux pour absorber un trafic de plus en plus dense, mais aussi à adapter les infrastructures classiques aux nouveaux usages induits par la révolution digitale (vidéo, streaming, télémédecine, téléenseignement, robotique, intelligence artificielle…). Par ailleurs, ces entreprises doivent désormais intégrer pleinement leur responsabilité sociétale, notamment à travers la préservation de l’environnement et le recours aux énergies dites « propres ».
À cela s’ajoute un environnement concurrentiel extrêmement agressif, doublé d’une pression réglementaire soutenue.
Dans ce contexte, se réinventer devient un impératif de survie. Plusieurs opérateurs l’ont compris très tôt, optant pour des stratégies axées sur l’expansion géographique, le développement de services à forte valeur ajoutée, l’exploration de nouveaux métiers, et l’essor du Mobile Money ou du mobile banking.
Force est de constater, néanmoins, qu’après toutes ces années, la situation ne s’est guère améliorée. Les opérateurs font toujours face à de nombreuses menaces : décroissance du chiffre d’affaires, rentabilité affaiblie, profits insuffisants pour satisfaire les actionnaires. Pendant ce temps, de nouveaux acteurs digitaux, plus agiles et mieux organisés, proposent des services innovants qui facilitent le quotidien des populations. Ces entreprises créent davantage de valeur pour leurs actionnaires, attirent les investisseurs, dominent les places boursières, et relèguent progressivement les télécoms traditionnelles au second plan.
Dès lors, une remise en question s’impose, non seulement pour survivre, mais aussi pour repositionner ces entreprises au cœur de l’écosystème numérique, en leur assurant une rémunération équitable à la hauteur de leur contribution.
Il est vrai que les nouveaux entrants dynamisent le secteur en développant les usages. Cependant, leur succès repose largement sur l’infrastructure des opérateurs : couverture réseau, qualité de service, équipes marketing et commerciales pour l’acquisition clients, services après-vente… Autant d’éléments financés et gérés par les opérateurs eux-mêmes.
Répondre aux interrogations suivantes pourrait permettre aux télécoms de se repositionner durablement dans cet écosystème, de garantir leur pérennité tout en assurant leur mission de service public et en contribuant à la souveraineté numérique de nos États.
La croissance externe est-elle encore une option viable ?
La réponse peut être positive, sous réserve d’une évaluation rigoureuse des risques, notamment :
- L’instabilité politique et sociale des pays cibles ;
- L’émergence d’un patriotisme économique privilégiant les entreprises locales ;
- Des régulations et fiscalités défavorables pouvant compromettre la rentabilité ;
- La complexité et les conséquences d’un éventuel « roll back ».
- Ne faut-il pas repenser les organisations classiques ?
L’évolution technologique, le digital et les réseaux sociaux imposent de nouvelles compétences, une manière renouvelée de collaborer, de communiquer, et d’innover. L’agilité, l’anticipation et la rapidité deviennent des leviers clés pour gagner des parts de marché et générer de la valeur.
Le marketing classique est-il toujours adapté ?
Les solutions traditionnelles génèrent encore l’essentiel du chiffre d’affaires, avec une rentabilité supérieure aux relais de croissance. Cette dépendance constitue toutefois un risque majeur, car ces solutions arrivent à maturité et pourraient entrer en déclin : baisse du trafic international, usage croissant des réseaux sociaux pour communiquer, pression sur les prix, capacités réseaux limités face à l’explosion du trafic data.
La question se pose alors : ne faudrait-il pas confier la monétisation du réseau aux équipes techniques, mieux placées pour évaluer les coûts, capacités et usages ? Cela libérerait les équipes marketing pour se concentrer sur le développement de nouveaux services et métiers, garants d’un cash flow soutenu.
Filialiser ou non les nouvelles activités ?
Face aux GAFA, agilité, innovation et anticipation sont impératives. Les modèles ayant le mieux résisté à l’ère mobile sont ceux gérés en entités autonomes, dotées de capacités propres d’investissement et d’innovation.
La fidélisation des ressources humaines : rempart ou obstacle ?
La baisse des marges entraîne souvent une remise en cause des acquis du personnel, générant des tensions internes, au moment même où l’entreprise a besoin de stabilité et d’engagement pour défendre ses parts de marché et développer de nouveaux métiers.
L’enjeu RH se situe alors entre la maîtrise des coûts, le maintien de la motivation des équipes existantes, et l’attraction de nouvelles compétences.
Digitalisation : la simplicité avant tout
La simplicité prime sur le prix dans l’adoption des usages. Des applications comme WhatsApp ou TikTok doivent leur succès à leur facilité d’utilisation, accessible à tous, lettrés ou non. La refonte des processus et des outils, dans une optique de simplification du parcours client, devient donc un levier stratégique de différenciation et d’attractivité.
Moussa Diop, Consultant Télécoms
(Source : Sud Quotidien, 14 juin 2025)