Numérisation des registres immobiliers : un atout pour l’Afrique
mercredi 4 juin 2025
La gestion foncière reste un défi majeur pour de nombreux pays africains, freinant l’accès à la propriété et aux services financiers. Face à cette réalité, plusieurs Etats explorent des outils numériques pour moderniser leurs registres immobiliers.
La digitalisation des registres immobiliers et les cadres de politique numérique sont des éléments fondamentaux pour la transformation numérique et le développement économique, en particulier dans les pays en développement. Historiquement, l’établissement et le fonctionnement des registres étaient coûteux et longs, mais les technologies numériques permettent des opérations à faible coût et une large diffusion.
Importance et fonctions clés des registres immobiliers numériques
Selon le rapport « Capitalizing on Digital Transformation to Enhance the Effectiveness of Property Institutions » publié en avril 2025 par la Banque mondiale, les registres immobiliers numériques sont des piliers de la capacité de l’Etat et du dynamisme du marché privé. Ils sont essentiels pour la croissance économique en soutenant le fonctionnement du marché et en augmentant la valeur des terres. Ils sécurisent également la propriété foncière, garantissant des droits solidement enregistrés, qui peuvent être hypothéqués ou transférés à faible coût.
En rendant publiques des informations fiables sur les droits de propriété immobilière, ces registres réduisent les coûts de transaction et l’incertitude. Ils soutiennent également la résolution des litiges en fournissant des données essentielles aux tribunaux pour régler les différends et accélérer les procédures de recouvrement. Enfin, ils améliorent les services publics en aidant à optimiser la fiscalité foncière, prévenir la fraude et renforcer la réglementation urbaine.
Avantages de la numérisation
Les technologies numériques améliorent considérablement l’efficacité opérationnelle, la qualité et la fiabilité des registres. Elles facilitent l’accès aux données, élargissent le nombre d’utilisateurs et multiplient les applications possibles.
L’efficacité opérationnelle est renforcée par la numérisation des processus d’acquisition, de traitement et de liaison des données. Un accès élargi aux informations permet à davantage d’acteurs économiques de les exploiter, comme en témoigne le quadruplement du nombre de pays dotés de registres numériques entre 2005 et 2020, selon le rapport.
L’analyse de données massives, combinée à l’intelligence artificielle, ouvre de nouvelles perspectives pour la prise de décision économique. La numérisation réduit également les coûts de transaction en simplifiant les procédures d’enregistrement. Elle diminue le besoin d’intermédiaires, améliore la liquidité du marché et facilite l’accès au crédit en permettant aux banques d’examiner plus facilement les garanties immobilières.
Enfin, les registres numériques renforcent la transparence et la concurrence, comme en Chine, où une réforme de 2007 a accru l’efficacité des enchères de terres industrielles.
Composants clés et défis des systèmes numériques
Pour maximiser les bénéfices des registres numériques, plusieurs conditions doivent être réunies. La qualité et l’étendue des registres sont primordiales, tout comme l’existence de cadres réglementaires garantissant la validité juridique des preuves numériques. La transparence des données, une gestion efficace des terres publiques et privées, ainsi qu’une couverture nationale sont aussi essentielles.
L’interopérabilité entre les registres et les cadastres, ainsi que l’authentification numérique des actions, sont des éléments clés pour réduire les coûts et prévenir la fraude. Malgré ces avancées, l’Afrique reste confrontée à des défis majeurs.
Le contexte africain et les lacunes persistantes
En 2020, selon le rapport, moins de 20 % des pays d’Afrique subsaharienne avaient des registres fonciers numériques intégrés, contre plus de 75 % en Europe centrale et orientale. L’adoption des signatures électroniques par les fonctionnaires est particulièrement faible, atteignant seulement 10 % en Afrique de l’Ouest et du Centre, et 0 % en Afrique de l’Est et du Sud.
L’interopérabilité entre institutions foncières reste limitée, et la confiance dans les registres est faible. L’accès au crédit hypothécaire est entravé par le manque de données numériques sur les hypothèques, disponibles dans seulement 10 % des pays africains.
Enfin, la couverture des registres et des cadastres numériques est insuffisante, avec des taux inférieurs à 40 % dans de nombreux pays.
Indicateur | Monde | Europe | Afrique Subsaharienne |
Registre digital national | 68 % | 93 % | 20 % |
Cadastre digital | 73 % | 100 % | 30-40 % |
Interopérabilité registre/cadastre | 62 % | 87 % | 30-47 % |
Signature électronique obligatoire | 41 % | 53-73 % | 0-10 % |
Par ailleurs, si plusieurs pays africains accusent encore du retard en matière de digitalisation foncière, certains enregistrent des progrès significatifs. Au Bénin, en janvier 2025, le gouvernement a imposé l’usage de la plateforme numérique e-Foncier pour toutes les opérations de formalisation dans douze grandes communes. De son côté, le Rwanda a lancé en mars 2025 le Rwanda Land Dashboard, un tableau de bord automatisé destiné à centraliser et analyser les données foncières. D’autres pays comme la Tunisie et le Burkina Faso font également des progrès. Cependant, la majorité des pays restent à la traîne, avec un risque de marginalisation accrue pour ceux qui n’accélèrent pas leur transition numérique.
Implications politiques et prochaines étapes
Pour combler ces lacunes, les gouvernements africains doivent prioriser notamment la numérisation des registres fonciers en renforçant la confiance via des systèmes transparents et vérifiables. L’adoption des signatures électroniques, l’amélioration de l’accès aux données hypothécaires et le développement d’identifiants numériques sont des mesures urgentes.
La transparence des prix historiques et la coopération régionale représentent également des leviers stratégiques. Le rapport de la Banque mondiale recommande en outre de prioriser la digitalisation dans les zones urbaines, où la pression démographique, la valeur des terres et les enjeux de gouvernance sont les plus élevés.
En conclusion, la numérisation des registres immobiliers offre un potentiel immense pour stimuler le développement économique en Afrique. Cependant, son succès dépendra notamment de la volonté politique et de la mise en place de cadres réglementaires robustes pour en maximiser les bénéfices.
Melchior Koba
(Source : Agence Ecofin, 4 juin 2025)