Numérique et mobilité socioprofessionnelle en Afrique : le FMI révèle des impacts contrastés
vendredi 11 juillet 2025
Le numérique apparaît comme un levier de transformation sociale et économique en Afrique. Cependant, cette perspective ne se vérifie pas partout. De nombreux obstacles structurels freinent encore son déploiement.
En Afrique, la numérisation, mesurée par l’accès aux câbles sous-marins et la possession de téléphone mobile, augmente la probabilité de mobilité professionnelle ascendante et diminue le risque de déclassement. C’est ce que révèle le rapport « Digitalization : A Catalyst for Intergenerational Occupational Mobility ? », publié en mai 2025 par le Fonds monétaire international (FMI).
Selon cette étude, faite sur un échantillon de plus de 28 millions de personnes dans 27 pays africains, la connexion aux câbles sous-marins augmente la probabilité de mobilité professionnelle ascendante de 17,5 à 26,7 points de pourcentage et diminue le risque de déclassement de 17,8 à 36,7 points. La possession d’un téléphone mobile accroît les chances de mobilité ascendante de 8 à 10,7 points et réduit le risque de déclassement de 13 à 17,4 points. Ces résultats illustrent l’impact potentiel du numérique sur les trajectoires professionnelles en Afrique.
Des effets mesurés, des écarts persistants
D’après le FMI, la dynamique varie fortement selon les pays. À Maurice, 75 % des enfants de travailleurs agricoles accèdent à des emplois qualifiés ou de cadres, contre seulement 2 % au Burkina Faso. Le taux moyen de mobilité ascendante atteint 19 %, tandis que le déclassement concerne 28 % des individus. Ces écarts s’expliquent par des différences d’infrastructures, de politiques publiques et de stabilité institutionnelle.
Pays | Mobilité ascendante | Mobilité descendante |
Maurice | 0,75 | 0,10 |
Afrique du Sud | 0,48 | 0,14 |
Botswana | 0,46 | 0,23 |
Burkina Faso | 0,02 | 0,46 |
Moyenne | 0,19 | 0,28 |
Source : FMI, 2025
Le numérique, un catalyseur sous conditions
Le FMI insiste sur le fait que l’effet du numérique dépend fortement du contexte institutionnel et des politiques publiques. La digitalisation n’est un levier de mobilité sociale que si elle s’inscrit dans un environnement institutionnel solide et des politiques publiques volontaristes. Le rapport montre que l’impact positif du numérique est amplifié dans les pays où les gouvernements investissent dans les infrastructures et promeuvent activement les technologies de l’information et de la communication (TIC). À l’inverse, l’absence de ces catalyseurs limite l’effet du numérique sur la mobilité sociale.
Des fractures numériques et sociales persistantes
Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), en 2024, seuls 38 % des Africains sont connectés à Internet, avec de fortes disparités entre milieux urbain (57 %) et rural (23 %). L’Union note aussi que 43 % des hommes utilisent Internet contre seulement 31 % des femmes, révélant une fracture numérique de genre persistante.
L’Association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile (GSMA) souligne que les pressions fiscales auxquelles sont soumis les opérateurs de téléphonie mobile freinent aussi l’adoption des outils numériques par les populations vulnérables. Elle insiste sur la nécessité de politiques ciblées pour réduire ces barrières structurelles et éviter que le numérique ne devienne un facteur d’exclusion supplémentaire.
Gouvernance et politiques publiques : des progrès inégaux
De nombreux pays africains ont adopté des stratégies nationales pour le numérique, mais seuls 18 % disposent d’une régulation avancée du secteur, selon l’UIT. Les cadres réglementaires restent hétérogènes, notamment sur la protection des données et la cybersécurité. Des coupures majeures de câbles sous-marins en 2024 ont mis en évidence la dépendance du continent à des infrastructures internationales et la vulnérabilité de la connectivité.
Des initiatives existent : subventions à l’équipement, programmes de formation, réseaux communautaires. Mais leur portée reste limitée face à l’ampleur des besoins et à la rapidité des évolutions technologiques.
Des experts appellent à la prudence
Des experts de la Banque mondiale et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mettent en garde contre une vision trop technophile. Selon eux, la digitalisation ne garantit pas automatiquement la création d’emplois de qualité ni la réduction des inégalités.
L’automatisation et l’essor des plateformes numériques risquent d’exclure une partie de la population du marché du travail, faute de compétences adaptées. Le risque, selon le rapport sur l’avenir du travail en Afrique, est que seuls les travailleurs déjà qualifiés bénéficient de ces transformations.
Perspectives et enjeux
Selon le rapport du FMI, le potentiel du numérique ne se réalisera que si les États africains investissent dans l’éducation, l’infrastructure et la gouvernance, tout en veillant à ne pas laisser les populations les plus vulnérables au bord du chemin. Passer du 25e au 75e percentile de l’indice de qualité institutionnelle augmente la probabilité de mobilité ascendante de 8,8 points et réduit celle de déclassement de 3,2 points. Un score élevé de réussite gouvernementale dans la promotion des TIC accroît la mobilité ascendante de 5,3 points et réduit le déclassement de 22 points, ajoute le FMI.
Melchior Koba
(Source : Agence Ecofin, 11 juillet 2025)