Moderniser le système électoral sénégalais : oser le vote électronique, inclusif et sécurisé
lundi 5 mai 2025
Pourquoi maintenant ?
Le Sénégal entre dans une nouvelle ère politique. Avec l’arrivée d’un gouvernement qui se veut résolument tourné vers la modernité, l’occasion est unique : repenser nos pratiques démocratiques. Notre pays, souvent cité comme un exemple de stabilité en Afrique, pourrait franchir un cap majeur en modernisant son système électoral.
Le contexte s’y prête : presque tous les Sénégalais possèdent un téléphone portable (d’après les chiffres de l’ARTP), même dans les coins les plus reculés. Pourtant, cet outil reste sous-exploité pour la participation citoyenne. À cela s’ajoutent les coûts colossaux liés aux élections traditionnelles : bulletins papier, urnes, logistique… Des milliards de francs CFA dépensés à chaque scrutin, alors que ces fonds pourraient aussi renforcer l’éducation, la santé ou les infrastructures.
Les failles du système actuel
– Un gaspillage environnemental : des tonnes de papier jeté, rarement recyclé.
– Des citoyens indirectement exclus : personnes âgées, handicapées, ou simplement loin de leur lieu d’inscription, qui peinent à se déplacer le jour J.
– Des risques de fraude : bourrages d’urnes, erreurs humaines, manipulations.
– Un émiettement politique coûteux : la prolifération des partis complique l’organisation et alourdit les frais.
La proposition : voter par SMS de manière sécurisée
Comment ça fonctionnerait ?
1. Identifier chaque électeur de façon fiable :
On pourrait lier chaque électeur à son numéro de téléphone, grâce aux bases de données existantes (CEDEAO, ANSD), validées à l’avance. Le jour du vote, il reçoit un code PIN temporaire par SMS, généré via une technologie robuste (chiffrement de haut niveau ou blockchain).
2. Envoyer son vote simplement :
Il suffirait d’envoyer un SMS au numéro officiel avec le code PIN et le choix du candidat ou parti (par exemple : « 1234 PARTI X »)
Le retour du vote sera un meta data identifiable au PIN mais pas au votant pour que son vote soit secret. Pour ceux qui préfèrent, une application mobile simple, même compatible avec les téléphones basiques, pourrait être proposée.
3. Assurer la transparence :
Les votes seraient comptabilisés en temps réel sur une plateforme publique, où citoyens, observateurs internationaux et organisations de la société civile pourraient suivre le dépouillement. Chaque électeur recevrait un accusé de réception anonymisé, garantissant que son vote a bien été pris en compte.
Quels avantages ?
– Des économies substantielles :
Moins de papier, plus besoin d’urnes physiques, moins de logistique… On pourrait économiser entre 40 et 60 % du budget électoral.
– Une participation renforcée :
Les jeunes, nombreux au Sénégal, et la diaspora pourraient voter plus facilement.
– Des résultats rapides et fiables :
Plus besoin d’attendre des jours, ni de craindre les erreurs de dépouillement manuel.
Quels défis anticiper ?
1. Sécurité et confidentialité :
Oui, il y a un risque de piratage. Mais des audits réguliers et des partenariats avec des entreprises spécialisées en cybersécurité (par exemple Gemalto ou Thalès, TasseT) pourraient garantir la solidité du système.
2. Inégalités d’accès numérique :
Une partie de la population est analphabète (environ 35 %, selon la Banque mondiale). Il faudra miser sur des campagnes de sensibilisation, des explications simples à la radio, et des supports audio ou vidéo en langues locales (wolof, pulaar, etc.).
3. Le risque de pressions familiales ou communautaires :
Voter sans isoloir chez soi peut exposer certains à des influences extérieures. Une solution : autoriser les électeurs à modifier leur choix dans un délai donné, jusqu’à 24 heures avant la clôture.
4. Un cadre juridique à adapter :
Il faudra réviser le Code électoral pour encadrer légalement ce type de vote, avec l’aval du Conseil constitutionnel.
Des exemples à suivre (et à éviter)
– Estonie : pionnière du vote en ligne, avec près d’un tiers des votes exprimés de cette façon.
– Inde : machines à voter électroniques utilisées depuis des années, malgré les défis logistiques.
– Philippines : tentative de vote par SMS abandonnée faute de garanties suffisantes en matière de sécurité – une expérience dont il faut tirer les leçons.
Comment avancer ?
1. Tester à petite échelle :
Démarrer par une phase pilote, sur des élections locales à Dakar, Thiès, Matam ou Kédougou.
2. Associer tous les acteurs :
Partis politiques, organisations citoyennes (comme le COSCE ou la RADDHO), opérateurs télécoms (Orange, Free)… Tout le monde doit être autour de la table.
3. Créer un fonds dédié :
Réinjecter une partie des économies réalisées pour financer l’éducation civique et la formation au numérique.
En conclusion
Le Sénégal a aujourd’hui une chance historique : devenir un pionnier de la démocratie numérique en Afrique. Oui, les défis sont réels, mais ils ne sont pas insurmontables. Avec une approche progressive, transparente et inclusive, il est possible de moderniser notre système électoral sans trahir les principes démocratiques fondamentaux.
Une telle réforme, bien menée, pourrait renforcer la légitimité de nos institutions et faire du Sénégal un modèle d’innovation politique sur le continent. Il est temps d’ouvrir ce débat.
Amadou M.S.A. Ndiaye
(Source : 5 mai 2025)