Mobile money : l’épargne décolle, mais le crédit piétine encore en Afrique
lundi 11 août 2025
Le mobile money s’est imposé comme un accélérateur inédit d’épargne pour des millions d’Africains. Mais il lui reste encore à convaincre sur le terrain du crédit, où l’informel domine, malgré les innovations en cours.
La part d’adultes africains possédant un compte de mobile money est passée de 27% à 40% entre 2021 et 2024, soit le taux le plus élevé au monde. C’est ce que révèle le rapport « The Global Findex Database 2025 : Connectivity and Financial Inclusion in the Digital Economy » publié en juillet 2025 par la Banque mondiale.
Le rapport révèle que 23% des adultes africains ont épargné via leur compte mobile en 2024 (contre 13% en 2021), tandis que 35% ont déclaré avoir épargné sous forme digitale ou via des institutions traditionnelles. Des pays comme le Ghana, le Kenya, le Sénégal ou l’Ouganda affichent même des taux d’utilisation de la monnaie mobile pour l’épargne dépassant les 50% chez les adultes, signe d’une appropriation massive du service.
Plus accessible que les réseaux bancaires, le mobile money facilite l’épargne par petites sommes, la flexibilité des dépôts et retraits chez des agents locaux, et une adoption plus inclusive, surtout pour les milieux ruraux et informels.
Epargne oui, mais crédit limité
Malgré ce succès pour l’épargne, l’accès au crédit via le mobile money demeure très modeste. En 2024, seulement 7% des adultes africains ont emprunté via leur compte mobile, un chiffre stable par rapport à 2021, alors que près de 59% ont eu recours au crédit (mais essentiellement sous forme informelle : famille, tontine).
Dans les grandes économies de mobile money (Kenya, Ghana, Ouganda), 22 à 32% des adultes ont emprunté via un opérateur mobile, mais ce crédit reste de très faible montant, à court terme, et souvent associé à des taux d’intérêt élevés, limitant l’effet d’entraînement économique global.
Pourquoi ce décalage ?
Plusieurs facteurs le justifient. Selon la Banque mondiale, la réglementation reste prudente, les autorités craignant le surendettement ou la fraude. L’organisation dénonce aussi des modèles économiques privilégiant le dépôt et le paiement, moins risqués que le crédit.
De plus, le rapport révèle que les clients eux-mêmes hésitent à s’endetter via des plateformes peu connues pour le prêt (méfiance, faible culture financière, simulateurs d’éligibilité trop stricts).
Des innovations et des limites à surmonter
Si quelques fintech et plateformes mobiles spécialisées élargissent progressivement l’offre (score de crédit alternatif, nano-crédit pour micro-entrepreneurs), le passage à une offre massive de crédit digital inclusif reste à faire. Le rapport précise que les pays comme le Kenya ayant une coopération étroite entre opérateurs mobiles, banques et autorités de régulation sont en avance, mais que l’offre avance ailleurs à petits pas.
L’enjeu est désormais de coupler l’accès à l’épargne digitale à des politiques de littératie financière, de protection des usagers (risques d’arnaque, surendettement) et d’innovation réglementaire pour que l’accès au crédit progresse sans fragiliser les populations déjà vulnérables.
Pour la Banque mondiale, le potentiel du mobile money en Afrique ne sera vraiment libéré que lorsqu’il contribuera autant à l’investissement productif qu’à la sécurisation de l’épargne. Cela implique de renforcer la confiance et la capacité d’analyse des clients sur les offres de crédit digitalisées, d’améliorer l’interopérabilité entre services et institutions et d’adapter l’offre de crédit aux réalités économiques locales, tout en minimisant les risques associés.
Melchior Koba
(Source : Agence Ecofin, 11 août 2025)