C’est une info de nos confrères de l’Observateur. Après plusieurs vagues d’arrestations visant des cadres administratifs et politiques, c’est désormais le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique qui est au cœur de la tourmente. Deux personnalités de premier plan, l’ancienne directrice de la Case des tout-petits, Amy Samaké, et l’actuelle Directrice de l’Administration générale et de l’Équipement (DAGE) du ministère, Hélène Ndoukité Helndou Diouf, ont été arrêtées et déférées devant le procureur financier. Leur garde à vue s’est achevée par un retour de parquet, procédure qui reporte la décision du procureur et prolonge l’attente de l’issue judiciaire.
Le Pool judiciaire financier, plus connu sous le sigle PJF, s’est imposé depuis plusieurs mois comme l’organe central de la traque contre la délinquance économique et financière. Ses magistrats scrutent à la loupe chaque détail contenu dans les rapports des corps de contrôle. À chaque anomalie constatée, les convocations s’enchaînent et les arrestations se multiplient. De nombreux responsables, anciens comme actuels, redoutent désormais de recevoir un appel des enquêteurs. Cette fois, c’est un marché public de plusieurs milliards de francs CFA lié à l’ambitieux projet du Parc des Technologies Numériques de Diamniadio (PTN) qui a déclenché la procédure.
Le Parc des Technologies Numériques, pierre angulaire de la stratégie numérique du Sénégal, devait s’étendre sur 25 hectares au cœur du pôle urbain de Diamniadio. Ce projet de grande envergure vise à positionner le pays comme un hub technologique régional. Les plans prévoyaient la construction de trois tours dédiées aux technologies de l’information et de la communication, un datacenter de haute qualité, un centre de Business Process Outsourcing, des espaces de recherche et d’innovation, ainsi qu’une résidence. L’objectif affiché était d’attirer les investisseurs, de stimuler l’émergence d’entreprises locales, de contribuer à la croissance économique et de générer plus de cent mille emplois directs d’ici 2025.
Cependant, l’enquête a révélé une anomalie grave. Le marché confié à la société d’Amy Samaké, qui portait sur des travaux d’aménagement liés au PTN, a bel et bien été validé par le ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Économie numérique à l’époque dirigé par Me Moussa Bocar Thiam. Les fonds ont été débloqués et le paiement effectué, mais les travaux n’ont jamais été réalisés. Cette situation a immédiatement attiré l’attention des contrôleurs internes, dont le rapport a été transmis aux enquêteurs de la Section de recherches de la Gendarmerie.
Les investigations ont conduit à l’arrestation d’Amy Samaké, personnalité connue pour son passage à la tête de la Case des tout-petits sous le régime du président Abdoulaye Wade et ancienne figure du Parti démocratique sénégalais (PDS). À ses côtés, la DAGE du ministère, Hélène Ndoukité Helndou Diouf, a également été interpellée. Devant les enquêteurs, cette dernière a tenté de justifier sa décision en affirmant avoir agi sur instruction directe de son ministre de tutelle, Me Moussa Bocar Thiam. Elle aurait même fourni, selon des sources proches de l’affaire, des éléments de preuve pour étayer ses propos.
Le ministre, quant à lui, se trouve actuellement hors du territoire national. Mais les révélations de la DAGE pourraient entraîner une nouvelle convocation et potentiellement placer l’ancien membre du gouvernement dans une position délicate. L’affaire pourrait ainsi prendre une dimension politique plus large, d’autant que le nouveau régime semble décidé à ne pas laisser impunis les actes de mauvaise gestion financière.
Le procureur du parquet financier, El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla, a hérité de ce dossier explosif. Amy Samaké et Hélène Ndoukité Helndou Diouf, déférées hier, n’ont pas encore été officiellement entendues par lui. Leur retour de parquet laisse entendre que la justice prend le temps de consolider les éléments du dossier avant de trancher sur leur éventuelle mise en examen ou leur placement sous mandat de dépôt.
Ce nouveau scandale illustre les difficultés persistantes dans la gestion des marchés publics au Sénégal. L’attribution de contrats sans exécution effective des travaux, alors même que les fonds sont décaissés, représente l’une des pratiques les plus dénoncées par les institutions de contrôle. Elle mine la confiance des citoyens dans la gouvernance et hypothèque la réalisation de projets stratégiques essentiels au développement du pays. Dans le cas du Parc des Technologies Numériques de Diamniadio, c’est l’avenir d’un projet censé symboliser l’entrée du Sénégal dans l’économie numérique mondiale qui se retrouve compromis.
Au-delà des personnes directement mises en cause, cette affaire pourrait entraîner une série de conséquences en cascade. Si les responsabilités de l’ancien ministre étaient confirmées, le dossier pourrait alimenter un débat politique plus large sur la reddition des comptes et la transparence dans la gestion publique. Les partisans de la nouvelle gouvernance verront dans cette affaire une illustration de la volonté de rompre avec les pratiques passées, tandis que les proches des personnalités incriminées pourraient dénoncer une instrumentalisation politique de la justice.
Le Pool judiciaire financier, en multipliant les enquêtes, envoie un signal clair : la lutte contre la corruption et la mauvaise gestion des fonds publics reste une priorité. Mais la multiplication des procédures judiciaires ne suffira pas à elle seule à restaurer la confiance. Elle devra s’accompagner de réformes profondes dans les mécanismes d’attribution et de suivi des marchés publics, afin de prévenir à la source les détournements et anomalies.
Dans les prochains jours, la justice devrait clarifier la situation d’Amy Samaké et de la DAGE du ministère. Leur sort dépendra de la décision du procureur financier, mais aussi de la solidité des preuves accumulées par les enquêteurs. Quoi qu’il en soit, cette affaire montre que la gouvernance publique au Sénégal est entrée dans une phase où la transparence et la responsabilité ne sont plus des options mais des impératifs. Et pour de nombreux acteurs du secteur public, le message est clair : chaque signature, chaque marché et chaque décaissement pourra être examiné demain devant les tribunaux.
(Source : Wal Fadjr, 17 septembre 2025)