Métiers du cloud en Afrique : un fossé grandissant entre offre et demande
vendredi 23 mai 2025
Avec l’adoption accélérée du cloud computing sur le continent, la demande pour des experts en infrastructures numériques explose. Mais la pénurie de talents qualifiés révèle les failles du système de formation et pourrait ralentir la dynamique d’innovation.
Selon les prévisions de Statista, le marché africain du cloud public devrait atteindre 12,56 milliards USD en 2025 et plus que doubler d’ici 2029, pour s’établir à 25,46 milliards USD, soit un taux de croissance annuel composé de 19,32 %. Cette dynamique spectaculaire reflète l’adoption croissante des services numériques sur le continent et place les métiers du cloud au cœur des enjeux économiques et technologiques à venir.
Le boom du cloud en Afrique
Du Nigeria à l’Afrique du Sud, en passant par le Kenya et ailleurs, les investissements dans le cloud computing se multiplient. Les grandes entreprises africaines, les start-ups et les gouvernements adoptent des solutions cloud pour moderniser leurs services, sécuriser les données et optimiser leurs infrastructures. Microsoft a ouvert des centres de données au Cap et à Johannesburg, tandis qu’Amazon Web Services (AWS) a déployé des initiatives stratégiques au Kenya, en Égypte et au Nigeria. Google Cloud a choisi Nairobi comme base régionale pour l’Afrique de l’Est.
Cette expansion stimule la demande en spécialistes du cloud : architectes cloud, ingénieurs DevOps, administrateurs de bases de données et experts en cybersécurité. Selon la SFI, l’Afrique devra former 230 millions de talents numériques d’ici 2030. Pourtant, peu d’institutions locales semblent aujourd’hui en mesure de répondre à ce besoin massif.
Une offre de formation encore embryonnaire
Si les métiers du cloud sont en plein essor, les parcours de formation spécialisés restent largement insuffisants sur le continent. Le secteur privé tente de combler les lacunes à travers des bootcamps et des plateformes certifiantes. ALX Africa propose, par exemple, un programme de certification AWS Cloud Practitioner dans plusieurs pays africains. En Éthiopie, Gebeya forme des développeurs orientés cloud, tout comme Decagon au Nigeria.
S’il est vrai que les grandes entreprises technologiques soutiennent certaines de ces initiatives, des efforts restent à faire. Dans l’enseignement supérieur classique, l’adaptation reste cependant lente. La majorité des universités africaines proposent des filières généralistes en informatique, avec peu de modules pratiques orientés cloud.
Par ailleurs, le manque d’équipements adaptés, de simulateurs ou d’accès aux plateformes cloud ralentit l’apprentissage. Un rapport publié en 2023 par l’AUDA-NEPAD et la GIZ souligne que moins de 30 % des diplômés des filières TIC sont immédiatement employables sur le marché.
Une pénurie qui freine l’industrialisation numérique
Le déficit de compétences dans le cloud dépasse le seul enjeu éducatif. Il freine le développement de l’économie numérique africaine. Faute de profils qualifiés, de nombreuses entreprises recrutent à l’étranger ou externalisent leurs services, ce qui limite leur compétitivité. Pour les start-ups, cette dépendance représente un coût supplémentaire et constitue un obstacle à la montée en échelle.
Selon une étude de Jobberman, le cloud computing figure parmi les compétences les plus recherchées au Nigeria, mais près de 70 % des employeurs jugent les candidats insuffisamment formés. Ce déséquilibre entre offre et demande est particulièrement visible dans les pôles technologiques de Lagos, Nairobi ou Kigali.
Vers une structuration du marché des compétences cloud
Face à ces défis, plusieurs pays africains entament une structuration plus stratégique de leur offre de formation. Par exemple, le Nigeria a lancé en 2023 un programme baptisé « National Digital Economy Policy and Strategy » visant à constituer une main-d’œuvre compétente dans les métiers du numérique. Des projets d’académies spécialisées dans le cloud sont en cours de discussion au Ghana, au Rwanda et en Côte d’Ivoire, souvent portés par des partenariats public-privé.
Pour être efficaces, ces efforts devront s’accompagner de réformes pédagogiques. L’intégration de certifications reconnues (AWS, Azure, Google Cloud) dans les cursus officiels, le développement de formations hybrides combinant bootcamp, mentorat et stages en entreprise, ainsi qu’une cartographie régionale des besoins pilotée par des organisations comme Smart Africa ou l’Union africaine.
Les perspectives sont réelles, notamment avec la ZLECAf, qui pourrait faciliter la mobilité des professionnels IT sur le continent. Mais sans stratégie claire d’investissement dans les talents, l’Afrique risque de rester un marché consommateur de technologies cloud, sans pouvoir les maîtriser ni en tirer pleinement parti.
Félicien Houindo Lokossou
(Source : Agence Ecofin, 23 mai 2025)