Médias ouest-africains : Une viabilité économique menacée par les géants du numérique
vendredi 11 juillet 2025
Un rapport de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (Ipao) met en lumière les fragilités juridiques et économiques qui minent les médias au Sénégal et en Côte d’Ivoire. A l’heure du tout-numérique, la presse ouest-africaine est laissée à elle-même face aux mastodontes comme Google, TikTok et autres distributeurs de nouvelles en ligne, d’après les conclusions de l’étude.Par Ousmane SOW –
Contenus pillés, droits ignorés, revenus perdus… Le rapport de l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (Ipao) met à nu l’impuissance des médias face aux géants du numérique. Un déséquilibre juridique et économique lourd de conséquences. En tout cas, c’est bien le constat dressé par Ipao, à travers une étude menée entre décembre 2024 et janvier 2025 au Sénégal et en Côte d’Ivoire. En effet, ce rapport, publié dans le cadre d’un projet soutenu par l’Unesco, pointe une réalité préoccupante, à savoir la survie économique des médias faute d’un encadrement juridique adapté. « Les lois qui encadrent l’activité de presse et les droits d’auteur présentent plusieurs faiblesses au détriment des créateurs de contenus éditoriaux et artistiques », lit-on dans le rapport. Au Sénégal par exemple, les contenus médiatiques et culturels sont diffusés et monétisés par des géants comme Google ou TikTok, sans qu’aucune protection juridique claire ne vienne garantir une juste rémunération aux créateurs. En clair, les journalistes et artistes ne sont pas juridiquement protégés face à l’exploitation de leurs productions. « Ces plateformes reprennent les contenus médiatiques à des fins commerciales, sans autorisation préalable, ni contrepartie financière. Les instruments juridiques en vigueur sont en retard par rapport à l’évolution de la technologie qui engendre une nouvelle forme d’économie des médias », souligne le document. La Côte d’ivoire est aussi dans la même situation. « Les cadres légaux en vigueur en Côte d’Ivoire et au Sénégal ne contiennent pas de dispositions juridiques explicites qui prévoient un partenariat économique gagnant-gagnant avec les grandes plateformes numériques qui exploitent les contenus médiatiques et artistiques. »
Coordonnateur régional médias à l’Institut Panos Afrique de l’Ouest, Birame Faye de rappeler que la loi sénégalaise sur le droit d’auteur de 2008 exclut carrément les produits d’information de son champ d’application. Quant à la Loi d’orientation sur la société de l’information (Losi), elle n’a pas su anticiper les bouleversements du numérique. « L’adoption du texte n’a pas amené le législateur sénégalais à anticiper sur les mutations technologiques qui affecteront plus tard le paysage médiatique et artistique », note l’Ipao. Même le Code de la presse de 2017, ont-ils estimé, pourtant plus récent, reste ancré dans une vision traditionnelle de l’économie des médias. « Il exclut et ignore les opportunités qu’offre le développement du numérique dans le monde », regrette le rapport, qui fustige une législation qui oblige les médias à respecter les droits d’auteur sans garantir les leurs.
Mais le problème n’est pas seulement national. Il est aussi régional. Les textes communautaires de l’Uemoa et de la Cedeao restent muets sur la question des droits numériques. « Les vides et imprécisions juridiques au détriment des contenus médiatiques sont plus perceptibles au niveau de certains instruments juridiques de portée communautaire », alerte le document. Dans ces espaces d’intégration, le secteur des médias est souvent relégué au second plan. « La Cedeao et l’Uemoa statuent rarement sur le secteur des médias », rappelle l’Ipao.
Les recommandations de l’Ipao
Face à ces lacunes, l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (Ipao) avance une série de recommandations fortes. D’abord au niveau national, ils estiment que « les gouvernements ouest-africains doivent redéfinir le régime économique des médias traditionnels » en tenant compte « des nouvelles opportunités de financement générées par l’exploitation de leurs contenus par les plateformes numériques ». Ensuite, l’Ipao appelle à la protection du marché publicitaire local, principale source de revenus des médias. « 60 à 65% des annonces de l’offre publicitaire devraient être réservés aux médias locaux », suggère le document, afin de freiner l’hémorragie financière au profit des Gafam. L’appel est aussi lancé aux institutions régionales. L’Uemoa et la Cedeao doivent « adopter un cadre harmonisé, notamment un Règlement communautaire d’application immédiate, pour favoriser un partenariat économique juste et équitable entre les médias, les créateurs de contenus culturels et les grandes plateformes numériques ». Et pour finir, les professionnels des médias et les acteurs culturels sont invités à sortir de leur silence. Le rapport les incite à « développer une plateforme pour engager un processus de plaidoyer stratégique à l’endroit des décideurs politiques ».
Ousmane Sow
(Source : Le Quotidien, 11 juillet 2025)