Majda Lahlou Kassi [Ericsson] : « La 5G peut devenir un catalyseur de la transformation numérique inclusive à travers l’Afrique »
mercredi 20 août 2025
Entre niveau de préparation des Etats africains au déploiement de la 5G, l’évolution de la 2è à la 5è génération et les défis liés à la technologie, Ericsson, un acteur télécoms de premier rang sur le continent, partage ses avis. C’est à travers une interview de sa vice-présidente et directrice pour l’Afrique occidentale et australe, Majda Lahlou Kassi.
Cio Mag : Quel est le niveau de préparation des États africains au déploiement de la 5G sur le continent ?
Majda Lahlou Kassi : La 5G en Afrique en est encore à ses débuts, mais nous constatons déjà des progrès prometteurs sur plusieurs marchés de premier plan, en particulier en Afrique orientale et australe, où les services se développent dans les principaux pôles urbains et industriels.
Alors que les abonnements 5G dans le monde ont atteint 27 % à la fin de 2024, l’Afrique subsaharienne n’en est qu’à ses débuts dans le domaine de la 5G, jetant les bases d’un avenir numérique en pleine croissance et en pleine transformation sur tout le continent.
La 4G dominant toujours la plupart des connexions des abonnés, la transition vers l’adoption généralisée de la 5G prendra du temps. Selon les projections, la pénétration de la 5G devrait atteindre 14 % à 16 % d’ici 2030.
Il est encourageant de constater que les gouvernements et les régulateurs commencent à donner la priorité à l’attribution de fréquences dans la bande moyenne et à mettre en œuvre des politiques visant à accélérer l’innovation et à améliorer la couverture. Ce qui constitue des étapes clés vers une connectivité de nouvelle génération plus large.
Ericsson travaille en étroite collaboration avec tous les acteurs de l’écosystème afin d’accélérer l’adoption de la 5G sur tout le continent. Grâce à des initiatives telles que l’accès fixe sans fil (FWA) 5G, nous apportons rapidement le haut débit à grande vitesse dans les zones mal desservies, sans avoir recours à des infrastructures fibre optique coûteuses.
Notre leadership dans le déploiement de réseaux 5G privés permet également aux entreprises des secteurs de la fabrication, de l’exploitation minière, des ports et de la logistique, d’améliorer leur productivité et leur sécurité grâce à une connectivité ultra-fiable et à faible latence, adaptée à leurs besoins spécifiques. En collaboration avec nos partenaires, ces efforts préparent les marchés à un avenir où la 5G jouera un rôle central dans la croissance économique de l’Afrique et dans la résolution de certains des principaux défis du continent.
Plusieurs pays n’avaient pas encore achevé le déploiement de la 3G avant de passer à la 4G, qui est encore incomplète sur tout le continent, et maintenant la 5G est en cours d’introduction. Comment combler cet écart ?
Nous reconnaissons que l’évolution de la connectivité en Afrique nécessite une approche pragmatique et progressive : renforcer la couverture 4G tout en introduisant stratégiquement la 5G là où elle a le plus grand impact socio-économique. L’accès fixe sans fil (FWA) change la donne à cet égard, en fournissant un accès haut débit rapide, évolutif et rentable dans les régions dépourvues d’infrastructure fibre optique. Nos projets FWA 5G en cours dans des pays tels que l’Angola, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya et le Zimbabwe démontrent comment cette technologie apporte un accès Internet haut débit fiable aux foyers, écoles et entreprises qui n’étaient auparavant pas connectés.
En complément du FWA, la solution avancée de partage du spectre d’Ericsson permet aux opérateurs de télécommunications d’exploiter simultanément la 4G et la 5G sur les mêmes bandes de fréquences. Cela maximise la valeur des actifs existants et accélère le déploiement de la 5G sans compromettre les services actuels. Nos solutions de modernisation des réseaux, y compris le réaménagement dynamique du spectre, permettent aux opérateurs d’optimiser les performances du réseau tout en assurant une migration transparente des utilisateurs.
Dans le même temps, les réseaux 5G privés jouent un rôle essentiel en fournissant une connectivité personnalisée et hautement performante aux industries où la mobilité est essentielle. Par exemple, une grue opérant dans un port très fréquenté ou un robot se déplaçant dans une usine de fabrication ne peuvent pas compter sur des connexions fibre optique fixes. C’est là que la mobilité, la latence ultra-faible et les capacités haut débit de la 5G deviennent indispensables.
Quels sont les principaux défis techniques, économiques, infrastructurels ou réglementaires rencontrés dans le déploiement de la 5G ?
Le déploiement de la 5G en Afrique implique un ensemble complexe de défis, chacun nécessitant des interventions ciblées et une collaboration solide entre les différentes parties prenantes.
En matière de compétences, le continent est confronté à une pénurie d’ingénieurs en télécommunications formés à la conception, au déploiement et à la gestion des réseaux 5G, tandis que les lacunes en matière de culture numérique affectent la préparation des utilisateurs. Grâce à des programmes tels qu’Ericsson Educate et à des partenariats avec l’industrie et le monde universitaire, nous constituons un vivier de professionnels qualifiés. Nous menons également des initiatives de formation communautaire afin d’améliorer la culture numérique et de garantir une plus grande préparation à l’adoption de services avancés.
Au niveau économique, le faible ARPU sur de nombreux marchés rend les investissements dans la 5G difficiles, une situation aggravée par des pressions macroéconomiques telles que l’inflation, le poids de la dette et la volatilité des devises. La disponibilité d’appareils 5G abordables reste un obstacle majeur. Ericsson développe des modèles de déploiement rentables, notamment des sites radio alimentés à l’énergie solaire, des stratégies de densification du réseau et l’accès fixe sans fil (FWA) afin d’offrir un haut débit sans avoir à déployer de coûteuses infrastructures fibre optique. Nous collaborons également avec les principaux équipementiers afin d’accélérer les tests et la certification des appareils, ce qui permet de disposer plus rapidement de téléphones compatibles 5G à un prix abordable.
Pour ce qui est de l’environnement réglementaire, une attribution rapide des fréquences, des redevances équilibrées et des politiques cohérentes sont essentielles. Pour y parvenir, Ericsson travaille en étroite collaboration avec les régulateurs et des organismes tels que l’Union africaine des télécommunications (UAT) afin de promouvoir des prix abordables pour le spectre, des licences neutres sur le plan technologique et des cadres flexibles qui favorisent une croissance durable et à long terme de la 5G.
Grâce à cette approche intégrée, la 5G peut évoluer depuis son stade actuel de déploiement précoce pour devenir un catalyseur de la transformation numérique inclusive et durable à travers l’Afrique.
Quels sont les cas d’utilisation spécifiques à l’Afrique qui sont à l’étude ou déjà testés avec la 5G ?
La 5G commence à ouvrir la voie à des cas d’utilisation transformateurs dans des secteurs critiques en Afrique, accélérant ainsi le développement socio-économique du continent.
Sur le plan de la Santé, la 5G permet aux cliniques rurales de se connecter aux hôpitaux urbains pour la télémédecine et les diagnostics en temps réel. Des cas d’utilisation avancés tels que les chirurgies à distance et les appareils médicaux connectés deviennent possibles à mesure que les réseaux mûrissent, améliorant ainsi l’accès aux soins de santé et leurs résultats.
Dans l’Agriculture, l’agriculture intelligente alimentée par la 5G facilite la surveillance en temps réel des sols et des cultures, l’irrigation de précision et la surveillance par drone. Ces technologies aident les agriculteurs à augmenter leurs rendements, à réduire les déchets et à renforcer leur résilience face au climat.
En matière d’Éducation, la connectivité 5G à haut débit prend en charge l’apprentissage à distance immersif et interactif, permettant l’accès à des ressources basées sur le cloud et à des salles de classe numériques. Cela contribue à réduire les inégalités en matière d’éducation, en particulier dans les zones rurales.
Dans le domaine de l’Industrie, les réseaux 5G privés améliorent la productivité et la sécurité dans des secteurs tels que l’exploitation minière, la fabrication, les ports et la logistique en permettant l’automatisation, le contrôle à distance des équipements et la surveillance opérationnelle en temps réel. Le partenariat entre Ericsson et COMSOL en Afrique du Sud illustre parfaitement cette transformation.
En ce qui concerne les Villes intelligentes, la 5G soutient les initiatives qui optimisent la gestion du trafic, la sécurité publique et l’efficacité énergétique grâce à des applications basées sur l’IA, améliorant ainsi la qualité de vie dans les centres urbains en pleine croissance.
Quelle est la stratégie d’Ericsson pour s’implanter sur le continent ?
Notre mission est de favoriser le développement d’une Afrique durable, inclusive et connectée grâce à une stratégie 5G globale axée sur quatre piliers : couverture 5G à l’échelle nationale, innovation et partenariats, investissements durables et développement des talents locaux.
Nous collaborons étroitement avec les opérateurs de télécommunications et les gouvernements afin de déployer des réseaux 5G rentables et de haute qualité, afin d’ouvrir des opportunités numériques aux communautés et aux entreprises. Nos partenariats avec les principaux opérateurs illustrent comment la connectivité peut favoriser l’autonomisation économique à grande échelle, des services financiers mobiles aux initiatives de villes intelligentes.
Les technologies telles que la 5G FWA et les réseaux privés sont au cœur de notre stratégie de connectivité, permettant un déploiement rapide et rentable du haut débit dans les zones urbaines et rurales mal desservies. Associées à l’automatisation des réseaux basée sur l’IA (réseaux d’accès radio intelligents), elles garantissent l’efficacité, la résilience et la durabilité des réseaux.
Dans le même temps, nous plaidons fermement en faveur de l’extension et de la modernisation des infrastructures 4G dans différents pays afin de garantir que personne ne soit laissé pour compte pendant la transition. Nos efforts en matière de réglementation se concentrent sur la promotion de politiques neutres sur le plan technologique, de tarifs abordables pour le spectre et de cadres permettant une croissance innovante, durable et à long terme de la 5G.
Nos collaborations vont bien au-delà des opérateurs de télécommunications et des régulateurs. Nous encourageons activement les partenariats ouverts et multipartites, en associant le monde universitaire, les start-ups et les développeurs afin de débloquer de nouvelles applications et d’accélérer l’innovation. Un excellent exemple est notre participation à Aduna, une coentreprise mondiale lancée en septembre 2024 par Ericsson et les principaux opérateurs de télécommunications afin de fournir des API réseau communes et standardisées dans le cadre du projet CAMARA de la GSMA-Linux Foundation.
En termes simples, Aduna offre aux développeurs un accès unifié à des fonctionnalités telles que l’assurance de service, la prévention de la fraude, la détection des échanges de cartes SIM, la vérification des numéros de téléphone et la localisation des appareils en temps réel, élargissant ainsi la portée de ces API et facilitant la création par les développeurs de services numériques fluides, sécurisés et innovants à l’échelle mondiale.
Ericsson Educate et d’autres programmes de développement des compétences forment une nouvelle génération de talents numériques africains, garantissant une adoption et une innovation durables sur le continent. Grâce à des initiatives telles que les réseaux 5G privés, nous aidons des secteurs tels que l’exploitation minière, l’industrie manufacturière, les ports et la logistique à passer à l’industrie 4.0, stimulant ainsi la compétitivité et la création d’emplois.
Notre approche holistique reflète l’engagement d’Ericsson à favoriser des écosystèmes où la 5G n’est pas seulement une technologie, mais un catalyseur de la transformation numérique de l’Afrique.
Michaël Tchokpodo
(Source : CIO Mag, 20 août 2025)