Olivier Sagna, Les technologies de l’information et de la communication et le développement social au Sénégal. Un état des lieux, UNRISD, Genève, janvier 2001, Technologie et société - Document n°1, 61 p.
Cette publication expose les premiers résultats du programme de recherche de l’UNRISD consacré aux technologies de l’information et au développement social au Sénégal. Après un examen d’un très grand nombre de documents notamment la littérature grise Olivier Sagna dresse un état des savoirs sur le rôle de ces nouvelles technologies dans l’économie et la société sénégalaises.
L’auteur commence par brosser l’historique du développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), de la première utilisation du télégraphe, en 1859, jusqu’à l’expansion remarquable de la téléphonie fixe et surtout cellulaire et à l’élargissement actuel de l’accès à Internet. Il examine ensuite le développement des principaux programmes des diverses institutions et du gouvernement qui ont rendu tout cela possible. Il souligne le rôle important de la Société nationale des télécommunications (SONATEL) dans la mise en place d’une infrastructure de qualité et la prestation de services efficaces. La libéralisation progressive des fréquences radio FM afin de permettre des diffusions privées et communautaires, hors du contrôle immédiat du gouvernement a été un des pivots du processus de démocratisation durant les années 1990.
Bien que l’on puisse attribuer au gouvernement le mérite d’avoir reconnu la nécessité de lier les TIC au développement, et cela dès le milieu des années 1980, il n’a pas été facile de coordonner et de mettre en œuvre des plans et programmes destinés à encourager l’exploitation des nouvelles technologies afin de surmonter les problèmes sociaux et économiques. Olivier Sagna laisse entendre que cela est lié à la fragmentation de la responsabilité de la politique des TIC dans le secteur public, et montre comment une bataille pour leur contrôle, en coulisse, a été un obstacle à l’application de la politique nationale cohérente requise pour combler le fossé entre ceux qui peuvent se payer les nouveaux services en matière de TIC et ceux qui ne le peuvent pas. Il souligne également l’importance d’une politique de régulation éclairée pour atteindre cette fin.
L’auteur fournit ensuite des chiffres actualisés sur le rôle des TIC dans l’économie sénégalaise. Le secteur des télécommunications représentait 2,6 pour cent du produit intérieur brut en 1996 chiffre devant atteindre 3,5 pour cent en 2000. De plus, en 1999, ce secteur a augmenté de 9,5 pour cent environ, comparé à 6 pour cent pour l’économie, dans son ensemble. L’accès aux services de téléphonie, tant fixe que mobile, s’est élargi très
rapidement dans les années 1990, premièrement par le biais du succès économique remarquable des « télécentres » privés autorisés pour la première fois en 1992, et deuxièmement, par suite d’un bond phénoménal de l’utilisation des téléphones cellulaires (de 7 000 à 200 000 abonnés entre la fin 1997 et la fin 2000). L’accès à Internet a également augmenté, quoique plus lentement. La vraie percée dans l’utilisation d’Internet est survenue en 1996, lorsque la SONATEL et la société américaine MCI ont signé un accord permettant la connexion internationale à Internet, donnant ainsi le coup d’envoi de l’ère commerciale d’Internet au Sénégal. En 2000, on comptait 13 prestataires de services Internet dans le pays qui totalisaient environ 8 500 abonnés. En outre, plus d’une douzaine de cybercafés ont ouvert à Dakar, et d’autres ont été établis dans la plupart des grandes villes de province. Le fait que la SONATEL offre un taux forfaitaire unique d’accès à Internet facilite grandement le développement d’Internet hors de la capitale.
Bien qu’un grand débat entoure les perspectives d’une utilisation créatrice d’Internet dans les secteurs de l’éducation et de la santé, ce genre d’application n’en est qu’à ses premiers balbutiements. Il faut étudier les enseignements tirés des premières expériences. La question du coût est manifestement importante. Les expériences précédentes relatives à l’utilisation des TIC pour l’éducation à distance, par exemple, révèlent que celles-ci sont chères et pourraient élargir, plutôt que réduire, les écarts en matière de qualité d’éducation entre les segments privilégiés et non privilégiés de la population. La même préoccupation surgit quand on examine la capacité des petites et moyennes entreprises à faire un bon usage des ordinateurs et d’Internet : à moins d’une formation adéquate et d’une assistance technique à portée de main, les investissements dans l’équipement et les connexions peuvent facilement devenir des gouffres financiers et non des avantages compétitifs.
Les projets du gouvernement visant à établir une zone économique dans laquelle des entreprises à haute valeur technologique pourraient profiter d’intéressements fiscaux et de synergies avec les centres voisins de recherche et d’enseignement un peu sur le modèle du Multimedia Super Corridor en Malaisie n’ont pas encore porté leurs fruits. La croissance la plus dynamique dans l’utilisation des TIC semble se produire dans le secteur informel. Les migrants sont des utilisateurs particulièrement importants des téléphones fixes ou mobiles, voire de la messagerie électronique et de la téléphonie sur Internet.
Olivier Sagna conclut en formulant des suggestions pour des recherches approfondies. Dans ce cadre, écrire une histoire de la SONATEL figure en tête de liste car cet organisme public a été particulièrement fructueux, et sa privatisation en 1996 a soulevé nombre de questions. L’auteur estime que l’initiative des « télécentres » mérite d’être prudemment analysée, et que les implications de la téléphonie mobile pour les investissements de la SONATEL
relatifs aux réseaux à lignes fixes devraient être étudiées. En outre, les caractéristiques sociales des usagers d’Internet et des téléphones cellulaires devraient être mieux comprises : l’effet sur les jeunes et les femmes des transformations de l’environnement en matière de TIC est particulièrement important, compte tenu de la marginalisation de cette population dans la société sénégalaise. Enfin, Olivier Sagna souligne le rôle important des
nouveaux types de radiodiffusion dans la démocratisation du Sénégal et propose des études plus orientées sur la politique, relatives aux facteurs qui soutiennent ou entravent la croissance, non seulement de stations FM privées, mais également de radios communautaires.
Ce document fournit une base solide pour appuyer et/ou orienter de nouvelles recherche. Il résume les études disponibles tout en signalant leurs lacunes et silences. Il permet d’améliorer la qualité du débat relatif à la politique en matière de technologies de l’information. Le problème n’est pas l’absence d’intérêt pour cette question mais le fait que la discussion est tellement fragmentée qu’elle n’arrive plus à servir de fondement à un débat public soutenu
dans les lieux où celui-ci devrait se tenir. La population n’est pas bien informée des implications sociales, économiques et politiques de la « révolution de l’information » au Sénégal, d’où sa tendance à s’en remettre à l’opinion d’experts guère familiarisés avec les préoccupations d’ordre social. Une bonne recherche en matière de sciences sociales a un rôle crucial à jouer dans l’amélioration de l’environnement qui doit donner lieu à des choix politiques informés.