Le Sénégal est l’étoile polaire francophone des droits numériques en Afrique francophone mais pourra-t-il maintenir le cap ?
vendredi 11 juillet 2025
En 2024, alors que de nombreux pays africains francophones ont connu un recul des libertés numériques, le Sénégal a osé tracer une nouvelle voie.
Depuis son indépendance en 1960, le Sénégal s’est forgé une réputation de nation pacifique grâce à des transferts de pouvoir non violents, une société civile active et un engagement diplomatique tant avec l’Occident qu’avec ses partenaires africains. Mais cette facette de son identité était presque tombée dans l’oubli jusqu’en 2024, année où un vent de changement a soufflé sur le pays. Ce changement s’est traduit par l’élection du plus jeune président de l’histoire du pays, Bassirou Diomaye Faye. L’ascension de M. Faye, soutenu par le réformateur charismatique Ousmane Sonko, a marqué un changement de génération et une rupture avec les élites poli- tiques traditionnelles, ouvrant la voie à une ère de réaffirmation de la souveraineté, de la responsabilité et de la justice économique.
L’élection de Faye, obtenue à l’issue d’un processus démocratique pacifique après une période de tensions politiques intenses, a redynamisé l’image de cette nation ouest-africaine, considérée comme tournée vers l’avenir, stable et réformatrice. Au-delà de la politique, ce changement a confirmé la place du Sénégal en tant que leader moral parmi les pays africains francophones. offrant un modèle de résilience, d’autonomisation des jeunes et de renouveau démocratique. Comme tous les autres secteurs, le secteur numérique du pays connaît son lot de changements et de nouveautés à plusieurs égards. Après avoir connu une coupure d’Internet en 2024, le pays figure désormais parmi les dix premiers pays africains en matière de promotion des droits numériques et de l’inclusion, selon le dernier rapport Londa de Paradigm Initiative. Ce parcours est trop passionnant pour être ignoré. Selon l’indice du rapport Londa 2024, le Sénégal a connu des progrès remarquables, comme en témoignent ses lois strictes en matière de protection des données, ses réglementations sur la sécurité en ligne axées sur les enfants et ses programmes d’inclusion numérique, qui le distinguent, en particulier en Afrique francophone.
Lorsque le rapport Londa 2024 de Paradigm Initiative a classé le Sénégal parmi les dix premiers pays africains en matière de droits numériques et d’inclusion, il a confirmé ce que de nombreux observateurs soupçonnaient déjà : le Sénégal est à la pointe du progrès en Afrique francophone. Mais ces progrès sont assombris par les vestiges de l’ancienne garde qui menacent de compromettre les acquis durement obtenus. La coupure d’Internet en 2024, parallèlement à la criminalisation continue des « fausses informations », met en évidence les contradictions entre les progrès sur le papier et le recul dans la pratique.
« Les perturbations de l’accès à Internet ont été fréquentes en 2024, en raison de divers facteurs, notamment la médiocrité des infrastructures », indique le rapport Londa.
Cette augmentation marquée des coupures d’Internet, poursuit-il, « reflète la réticence de certains pays africains à se conformer au droit international des droits de l’homme et un manquement manifeste à leurs obligations nationales, régionales et internationales en matière de promotion de la liber- té d’expression et d’accès à l’information >>.
Au-delà de ses frontières, le Sénégal affiche des résultats meilleurs que la plupart des autres pays francophones figurant dans l’indice. Alors que le Bénin est à la traîne en matière de criminalisation des fausses informations et de législation sur la sédition, le Cameroun et la République centrafricaine (RCA) sont confrontés à un manque d’informations, leurs gouvernements ne divulguant et ne diffusant que très peu d’informations sur les technologies numériques. Le classement ne fait qu’empirer avec le Togo et la République démocratique du Congo (RDC).
Le Sénégal : l’étoile polaire francophone
Afin de stimuler la croissance économique et d’encourager le développement à long terme, le Séné- gal a mis en place plusieurs initiatives stratégiques, notamment la Stratégie d’accélération de la croissance (SAC) et des plans visant à diversifier l’économie, à améliorer les infrastructures et à encourager l’entrepreneuriat et l’industrialisation. Il accueille également très favorablement l’idée de l’administration électronique, ou e-gouvernement, comme en témoigne son Plan Sénégal Emergent (PSE), créé en 2016, qui comprend la stratégie « Sénégal numérique (2016-2025) ». Sous le nouveau régime, ce pays d’Afrique de l’Ouest a également lancé le « New Technology Deal » afin de s’imposer comme un leader africain et un moteur de l’innovation numérique.
Malgré ces efforts louables, le Sénégal n’est pas encore devenu ce paradis idéal. Pour conserver son avance, les parties prenantes ont le devoir de maintenir l’ouverture d’Internet, de dépénaliser la diffamation et les fausses informations, conformément à la résolution 362 de la Commission africaine de 2019, de garantir le contrôle public des technologies de surveillance, de financer et de protéger l’in- dépendance de la Commission de protection des données (CDP) et de continuer à investir dans l’alphabétisation numérique et l’accès à Internet, en particulier dans les régions rurales mal desservies.
Dans d’autres pays africains francophones, la situation n’est guère réjouissante. Au Cameroun, le gouvernement continue d’utiliser les lois sur la cybercriminalité pour surveiller les militants et étouffer la dissidence, en particulier dans les régions anglophones, tandis que le Bénin est aux prises avec une détérioration de la liberté de la presse. La République démocratique du Congo (RDC) a quant à elle imposé de multiples coupures d’Internet, notamment pendant les élections, ce qui lui a valu la condamnation internationale, et cette tendance se poursuit. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) classe régulièrement ces pays parmi les pires contrevenants en matière de répression des journalistes en Afrique. Le Sénégal doit résister à cette attraction gravitationnelle s’il veut se démarquer et continuer à mener la charge pour une Afrique francophone inclusive sur le plan numérique. Les progrès du pays ne concernent pas seulement ses propres citoyens, mais créent un précédent pour le bloc francophone africain, du Togo à la RCA, du Bénin au Cameroun, et au-delà.
Si le Sénégal cherche un modèle en matière de droits numériques, il n’a qu’à regarder vers le sud. L’Afrique du Sud, qui occupe la première place de l’indice Londa 2024, a démontré comment les protections constitutionnelles, l’indépendance judiciaire et l’élaboration de politiques fondées sur les droits peuvent coexister avec le progrès numérique. La loi sur la protection des informations personnelles (POPIA) établit des normes claires en matière d’utilisation des données et de recours des citoyens. Et bien que des défis subsistent, l’Afrique du Sud évite les fermetures motivées par des considérations politiques et protège la liberté des médias, se classant régulièrement mieux que la plupart de ses homologues africains dans l’indice mondial de l’impunité du CPJ et dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. L’Afrique du Sud, qui arrive en tête de l’indice Londa 2024, offre une approche plus équilibrée. Bien qu’elle ne soit pas parfaite, elle a montré que les droits, la transparence et l’in- novation peuvent coexister et même se renforcer mutuellement.
La transition pacifique du pouvoir au Sénégal, sa population jeune et familiarisée avec le numérique, ainsi que sa société civile respectée lui offrent une occasion unique d’ancrer les droits numériques dans son identité nationale, et le processus est manifestement en bonne voie. Dans une région marquée par la régression, le Sénégal est un modèle. Mais ce leadership est plus qu’un simple trophée. C’est une mission qui n’aura de sens que si le Sénégal cherche non seule- ment à diriger l’Afrique francophone d’aujourd’hui, mais aussi à éclairer la voie pour demain. Le Sénégal est à la tête de l’Afrique francophone - te war naa kontine. Xam nga wax ?
Giro Ndzi [1]
(Source : Seneweb, 10 juillet 2025)
[1] Giyo Ndzi est chargé de communication chez Paradigm Initiative, une organisation panafricaine à but non lucratif qui défend les droits numériques et l’inclusion dans les pays du Sud.