Lors d’un entretien à l’Africa CEO Forum d’Abidjan, le président sénégalais a détaillé sa vision d’une révolution numérique africaine, conciliant partenariats internationaux et maîtrise locale des infrastructures et des données.
Le président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a exposé lundi sa vision de la souveraineté numérique lors d’un entretien avec Marwan Ben Yahmed dans le cadre de l’Africa CEO Forum qui se tient à Abidjan.
Devenu à 44 ans le plus jeune président de l’histoire du Sénégal et premier opposant élu dès le premier tour, l’ancien inspecteur des finances a profité de cette tribune pour détailler sa stratégie de transformation numérique pour son pays.
Cette intervention intervient alors que le président sénégalais participe à l’Africa CEO Forum sur invitation de son homologue ivoirien Alassane Ouattara.
L’édition 2025 de ce forum, placée sous le thème « Un New Deal public-privé peut-il rebattre les cartes au profit du continent ? », rassemble des dirigeants politiques, chefs d’entreprise, investisseurs et journalistes pour débattre des stratégies susceptibles de stimuler les investissements et le développement du secteur privé en Afrique.
Une vision articulée autour de trois axes stratégiques
M. Faye a structuré sa vision autour de trois piliers fondamentaux : « la maîtrise des infrastructures, le développement des compétences et la maîtrise du cadre réglementaire ». Il a souligné que cette approche ne signifiait pas un repli sur soi. « Cela ne veut pas dire enfermement ni autarcie, bien au contraire, nous la concevons comme une opportunité de s’ouvrir aux partenaires internationaux », a-t-il précisé.
Le président sénégalais a insisté sur l’importance d’un « rééquilibrage des rapports au profit de l’Afrique » qui garantirait « une protection de nos données, une maîtrise de nos infrastructures à travers la construction d’infrastructures sur lesquelles nous avons le contrôle total ».
Un plan d’investissement de 1,7 milliard de dollars
Pour concrétiser cette vision, le Sénégal a conçu un « module technologique » évalué à 1,7 milliard de dollars. « Ce sont des investissements importants » a reconnu M. Faye, précisant que « le partenariat que nous cherchons à nouer est un partenariat qui repose sur la collaboration avec des investisseurs internationaux dans le cadre d’un partenariat public-privé, mais aussi avec l’offre locale ».
Ces partenariats devront respecter plusieurs conditions essentielles selon le président Faye. « Nous privilégions des partenariats qui prennent en compte cette dimension-là [la souveraineté], mais qui, en même temps, opèrent un transfert de technologie au niveau local pour que derrière, on puisse avoir assez de compétences pour pouvoir administrer ces infrastructures-là », a-t-il indiqué.
L’Estonie et le Rwanda comme modèles inspirants
Interrogé sur d’éventuels modèles de référence, M. Faye a cité deux exemples : « Le premier n’est pas africain, c’est l’Estonie, qui a fait des progrès énormes sur le plan digital, sur le plan numérique ». Il a salué notamment la digitalisation à 99 % des services publics estoniens, « qui a permis de faire une économie de 2 points du PIB en termes de services gouvernementaux ».
Le second exemple cité est le Rwanda, qualifié de « champion dans la construction des infrastructures en mode PPP, notamment dans le volet numérique ». Pour le président sénégalais, ces exemples illustrent que « la digitalisation est un renouveau que l’Afrique ne peut pas manquer ».
Face aux géants technologiques : collaboration stratégique et contrôle local
Abordant la question de la domination des géants technologiques américains et chinois, M. Faye a rejeté l’idée que la souveraineté numérique africaine ne serait qu’un slogan. « Ça doit être une approche, une priorité, une orientation stratégique majeure pour l’ensemble des pays », a-t-il assuré.
Il a défendu une vision pragmatique des relations avec ces acteurs, notant que « ces pays-là ne sont pas renfermés sur eux […] C’est aussi des pays, à travers leurs géants, qui sont capables de collaborer, par exemple, dans la construction des data centers partout en Afrique aujourd’hui ».
Cependant, il a souligné l’importance pour les pays africains de s’assurer que « le contrôle des data centers leur revienne, que la sécurité des données soit assurée par eux-mêmes et qu’il y ait une formation qui soit faite pour les talents au niveau local ».
Une coordination nécessaire à l’échelle continentale
Concernant la coordination régionale, le président sénégalais a plaidé pour une approche multi-niveaux. « Je pense qu’il faut explorer toutes les stratifications organisationnelles au niveau de la ZLECAf, au niveau de la Cédéao, au niveau d’autres entités régionales ou sous-régionales », a-t-il proposé.
Il a notamment évoqué le « réseau africain de cybersécurité » comme « un bon cadre de collaboration », soulignant l’importance de « standardiser la réglementation pour nous assurer que l’intégration sous-régionale ne soit pas, à travers un pays, une porte de fragilité ou de vulnérabilité pour les autres ».
Développer l’écosystème des startups sénégalaises
Face au constat du retard des startups d’Afrique francophone en matière d’attraction de capitaux, M. Faye a détaillé plusieurs initiatives. « Nous sommes en train d’étendre la fibre optique […] Et à l’horizon 2030, nous voulons atteindre la couverture intégrale de tout le pays en 5G au moins », a-t-il déclaré.
Il a également mentionné la mise en place du « Start-up Act et le label Start-up » pour « accompagner l’écosystème numérique dans la création de chaînes de valeurs ». Le président a salué le rôle des opérateurs télécom, citant notamment Orange Digital Factory qui « accompagne les jeunes, les forme », complété par « un financement que nous sommes en train d’octroyer aux jeunes ».
Les trois piliers indissociables de la souveraineté numérique
En conclusion, M. Faye a refusé d’identifier une seule mesure prioritaire, estimant que trois éléments interdépendants sont nécessaires : « On aura beau vouloir développer le numérique, sans connectivité, on ne peut pas le faire. Il faut déjà un intrant principal, qui est la connexion […] à haut débit, de qualité partout ».
Le deuxième élément essentiel est « le cadre réglementaire qui doit prendre en charge deux choses : l’incitation à l’investissement […] et la protection des données ».
Enfin, « le développement de compétences […] en masse » constitue le troisième pilier indispensable pour « faire en sorte que tous ces services-là et toutes ces infrastructures-là puissent être administrées par des compétences qui n’ont pas grand-chose à envier à ceux qui font la meilleure chose aujourd’hui dans le monde ».
« C’est des choses qu’il faut mener ensemble pour pouvoir réussir le new deal technologique », a conclu le président sénégalais.
(Source : APAnews, 12 mai 2025)