Le numérique africain en panne d’énergie électrique : un frein au développement
mercredi 27 août 2025
Riche en opportunités numériques, le continent africain voit pourtant son essor freiné par un déficit énergétique persistant. Malgré l’adoption rapide des technologies, l’accès limité à l’électricité entrave l’innovation et réduit les bénéfices du numérique.
Environ 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité, ce qui représente près de la moitié de la population du continent et plus de 80 % du déficit mondial d’accès à l’électricité, selon le groupe des Nations Unies pour le développement durable (UNSDG). Les quelques populations qui bénéficient de l’énergie électrique subissent également des coupures fréquentes. Cette situation est exacerbée par des réseaux électriques vieillissants, des investissements insuffisants et une gestion inefficace des ressources énergétiques.
En Afrique du Sud, par exemple, les coupures de courant, connues sous le nom de « load shedding », ont coûté au pays environ 899 millions de rands (51 millions de dollars) par jour en 2023, selon EcoFlow, entreprise spécialisée dans la fourniture de solutions d’alimentation électrique innovantes et écologiques. Dans son bulletin économique de juin 2023, la South African Reserve Bank comptabilise que l’Afrique du Sud a subi plus de 2 000 heures de coupures d’électricité au cours du premier semestre de cette année-là, affectant plusieurs volets de l’économie, notamment les start-up, les services numériques, l’innovation.
Au Cameroun, le nombre de délestages a été multiplié par quatre entre 2018 et 2021, selon un rapport d’audit du programme 422 « Accès à l’énergie » du ministère de l’Eau et de l’Énergie, dévoilé début 2025 par les magistrats de la Chambre des comptes de la Cour suprême.
Si les pays d’Afrique du Nord et des pays comme le Ghana, le Gabon et l’Afrique du Sud ont progressé dans la résolution de ce problème, l’UNSDG souligne que des défis subsistent en Afrique centrale et au Sahel. « Par exemple, le Burundi et le Soudan du Sud affichent de faibles niveaux d’accès à l’électricité, selon les données de 2022 », relève l’institution internationale.
Impact sur l’économie numérique
En Afrique, où la demande en services numériques est en plein essor, alimentée par la pénétration des technologies mobiles, les innovations dans le domaine des technologies financières et une population jeune et connectée, les arguments en faveur de l’expansion de la capacité des centres de données sont évidents. Les centres de données constituent en effet l’épine dorsale de la transformation numérique, soutenant le stockage dans le cloud, les applications d’intelligence artificielle, les plateformes de commerce électronique et les services administratifs numériques. Cependant, les infrastructures énergétiques sous-développées constituent un obstacle majeur.
L’Afrique, bien qu’elle soit l’une des régions où l’adoption du numérique connaît la croissance la plus rapide, représente moins de 1 % de la capacité mondiale des centres de données. L’Association africaine des centres de données estime que le continent a besoin d’au moins 1 000 mégawatts (MW) de nouvelles capacités répartis sur 700 installations pour répondre à la demande. Cependant, pour satisfaire ce besoin, il faudra non seulement investir dans les infrastructures numériques, mais aussi résoudre un problème énergétique persistant et coûteux, indique le cabinet international Bracewell LLP, qui défend les intérêts de divers acteurs pour les secteurs de l’énergie, de la finance, de la santé, des infrastructures, de l’immobilier et des technologies.
Cross Boundary Energy, société d’investissement qui finance des projets d’énergie renouvelable en Afrique, soutient qu’entre 60 et 80 % des tours de télécommunication en Afrique subsaharienne subissent des coupures quotidiennes d’électricité de 8 à 12 heures, perturbant les services mobiles et Internet. Les coupures d’électricité exacerbent la fracture numérique en Afrique. Les populations rurales et les zones urbaines pauvres, déjà marginalisées, sont les plus affectées, n’ayant souvent pas les moyens d’investir dans des solutions énergétiques alternatives comme les générateurs ou les panneaux solaires. Cette situation limite leur accès à l’éducation en ligne, aux services de santé numériques et aux nombreuses opportunités offertes par le numérique.
Selon Justice Tei Mensah, économiste principal à la Banque mondiale, l’électricité devient un levier puissant de développement lorsqu’elle est associée à des infrastructures complémentaires telles que les routes et la connectivité numérique. C’est un atout pour réduire les inégalités dont sont encore victimes les femmes et les filles, leur permettant de saisir des opportunités auparavant inaccessibles dans le numérique (création de petites entreprises, accès à l’information, éducation en ligne, etc.). En Afrique, la crise énergétique met en danger l’économie numérique et tout son potentiel sur le développement.
Initiatives pour surmonter la crise.
Face à cette crise, plusieurs initiatives émergent pour fournir des solutions énergétiques durables. En avril 2024, le Groupe de la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont uni leurs forces pour lancer Mission 300, un programme transformateur visant à apporter de l’électricité à au moins 300 millions d’Africains d’ici 2030. Une étape importante pour la Mission 300 a été l’annonce des pactes d’électrification de 12 pays lors du Sommet africain de l’énergie, tenu à Dar es Salam en Tanzanie en janvier 2025. Ces pactes, qui décrivent comment chaque gouvernement accélérera l’accès à l’électricité, s’appuient sur des stratégies nationales d’électrification et des plans d’accès au moindre coût. Pour consolider ces réformes, le Groupe de la Banque mondiale accroît son soutien aux projets énergétiques en Afrique, mobilisant 30 milliards de dollars de ressources de l’IDA d’ici 2030, tout en utilisant des outils innovants pour mobiliser les investissements du secteur privé.
Aux initiatives de renforcement des réseaux électriques publics s’ajoutent les mini-grids qui se multiplient sur le continent et s’imposent de plus en plus comme des alternatives fiables d’accès à l’électricité en Afrique. Dans son rapport « State of the global mini-grids market report 2024 », publié le 14 août dernier, Sustainable Energy for All (SEforALL), une organisation internationale qui œuvre à favoriser l’accès universel aux énergies renouvelables, indique que le montant total des fonds engagés à travers le monde pour les programmes d’installation de ces réseaux dédiés à l’électrification des zones reculées s’élève à plus de 3,1 milliards de dollars. Environ 87% du montant est allé à l’Afrique (environ 2,7 milliards de dollars). Les installations sont actuellement plus de six fois plus nombreuses qu’en 2018. Cette croissance est particulièrement notable en Afrique subsaharienne, où le nombre de connexions installées a presque doublé entre 2019 et 2021, passant de 40 700 en décembre 2019 à plus de 78 000 en décembre 2021, malgré les défis posés par la pandémie de Covid-19.
Perspectives
Pour que l’Afrique réalise son potentiel numérique, il est impératif de résoudre les défis énergétiques auxquels elle est confrontée. Cela nécessite des investissements massifs dans les infrastructures énergétiques, le soutien aux initiatives d’énergie renouvelable et la mise en place de politiques favorisant l’accès équitable à l’énergie. Des efforts concertés entre les gouvernements, le secteur privé et les partenaires internationaux sont essentiels pour créer un environnement propice au développement numérique inclusif et durable. Pour combler le déficit énergétique de l’Afrique d’ici 2030, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD) affirme qu’il faudra 190 milliards de dollars par an, soit environ 6 % du PIB continental. Un effort qui, conjugué à la résolution des problèmes propres au secteur du numérique (manque d’infrastructures, cherté des smartphones, cherté d’Internet, faible financement pour l’innovation, etc.), ne manquera pas de stimuler l’économie numérique africaine.
Muriel Edjo
(Source : Agence Ecofin, 27 août 2025)