Le cyber-espace des femmes d’Afriques, entretien avec Marie-Hélène Mottin Sylla, Famafrique
vendredi 1er février 2002
Un exemple concret d’appropriation de l’internet
pour établir des réseaux internationaux de solidarité féminine.
De quelle dynamique est sorti Famafrique ?
De la frustration lors de la préparation de la conférence mondiale des femmes de Beijing, du fait que nous ne recevions pas d’informations à temps et
que ce que nous recevions était en anglais. Et d’un concours de circonstances car, à ce moment-là, notre organisation (http://www.enda.sn)
commençait a s’intéresser à la question des TIC pour les ONG de développement, en liaison avec le réseau de APC - Association for Progressive
Communication (http://www.apc.org) - qui a un programme des femmes très dynamique. J’ai donc pu participer au groupe des femmes de APC qui ont
fourni les services de communication électronique durant le forum des ONG et la conférence de Beijing. Au retour, j’ai commencé à développer un
réseau interne à l’Afrique francophone pour répondre aux frustrations indiquées. Au début, on a surtout commencé avec le e-mail (liste <femmes-Afrique
et service d’information <femmes-Afrique-info) parce qu’à l’époque, il n’y avait pas d’accès direct à internet dans nos pays. Et nous avons fait des
ateliers de formation technique (techniques de base de la communication électronique puis ateliers de formation plus spécialisés sur les questions
soulevées par les femmes, notamment solidarité électronique pour la défense des droits des femmes en Afrique
(http://www.enda.sn/synfev/solidarite/solindex.htm). Parallèlement, nous avons développé les contacts avec les autres initiatives en Afrique (anglophone)
et nous avons participé à la création et à la maintenance du site web des femmes d’Afrique du Sud, Womensnet (http://womensnet.org.za), ce qui nous
a donné de la formation en web et de multiples idées et exemples.
Nous avons participé au développement de différents réseaux électroniques reliés sur les femmes et le développement en Afrique. La plupart sont à
dominante anglophone mais pour notre part nous apportons le côté francophone. Ensuite quand la Francophonie a plus marqué son intérêt pour les
inforoutes, nous avons présenté un projet au fonds francophone des inforoutes où nous avons pu mettre toutes ces idées en pratique
(http://www.famafrique.org).
Maintenant qu’il est temps d’évaluer la mise en oeuvre de la plate-forme d’action de Beijing, nous avons développé des projets d’activités autour des TIC
pour les femmes dans le cadre de cet événement. Notamment nous avons créé et lancé le site Flame/Flamme, des femmes africaines en ligne en
septembre (http://flamme.org) et participé a la coalition de WomenAction (http://www.womenaction.org) pour qu’il y ait un réseau de sites web des
femmes pour l’évaluation mondiale de Beijing+5.
Avez-vous l’impression d’arriver a des résultats concrets ?
Oui. D’abord la question de l’utilisation des TIC par les femmes pour les agendas du développement durable et de l’égalité de genre en Afrique, et
notamment en Afrique francophone, n’est plus une idée farfelue : elle est reconnue comme crédible et fiable, et nous avons développé une expertise
certaine. Ensuite, nous sommes arrivées à coaliser la plupart des réseaux électroniques de femmes en Afrique qui travaillent peu ou prou sur cette
question, dans le respect de nos diversités, et nous avons une force d’action collective reconnue comme pionnière dans le monde (ce sont les femmes
d’Asie et les femmes d’Afrique qui ont été les plus actives dans ce processus autour de Beijing+5, et c’est maintenant que les femmes des autres
continents se joignent).
Quels contacts avez-vous avec d’autres initiatives proches ?
Ce que ça a permis d’important pour nous (famafrique), c’est que maintenant il y a un groupe de femmes francophones (nous en Afrique francophone,
les femmes du Canada, les femmes de France et les femmes d’Europe), Nous avons toutes commencé séparément mais avec internet, nous n’avons
pas tardé à faire connaissance et nous nous sommes rencontrées face à face le mois dernier à Séoul (oui, en Corée !) pour la réunion mondiale des
sites web pour Beijing+5 - et bien sûr, nous avons fait des plans pour travailler davantage ensemble
Ressentez-vous certaines formes de domination dans vos rapports d’activités avec le Nord ?
Non, pas dans le domaine où nous travaillons en ce moment. Pour certains aspects nous avons même l’impression (ce qui est plus qu’une impression
d’ailleurs) de faire plus et d’être en avance (ça transforme notre image de nous-mêmes). Dans des cercles de relation plus large, on note un peu ce que
vous mentionnez, mais on sait comment gérer ça.
uelles difficultés rencontrez-vous ?
Dans le contexte dans lequel famafrique intervient, ça ne se pose pas (car Enda a amplement développé ce côté serveur et technique) - ce qui fait que
nous pouvons faire ce que nous faisons, mais il est incontestable que les groupes de femmes en Afrique francophone ont des difficultés : la grande
majorité ne parle pas français ou anglais, ne sait ni lire ni écrire, n’a pas d’ordinateur ou de modem, ne sait pas où trouver formation et assistance
technique, etc. Sans compter les femmes qui n’ont tout simplement pas le temps. C’est pour cela que nous travaillons plutôt avec les ONG de femmes
qui dans leur majorité parlent français, ont un ordinateur et un téléphone (et commencent à avoir des modems).
Les coûts ne sont pas prohibitifs ?
Au Sénégal, c’est relativement acceptable, mais nous avons des factures de téléphone d’environ 150 000 FCFA ou plus, alors que nos collègues des
USA ou du Canada ne payent qu’un forfait mensuel d’environ 12 000 FCFA de téléphone, ce qui revient à dire que pour elles la connexion à internet est
gratuite - ça change beaucoup de choses. Pour nous à Enda, il n’est pas trop cher ni compliqué de faire héberger une liste électronique ou un site web
(si on s’y connaît bien sûr) mais des groupes de femmes dans un pays proche nous ont communiqué des tarifs tellement exorbitants qu’on comprend
que peu ont des sites web !
L’utilisation du français est-elle un obstacle ou une chance ?
Ce n’est pas un obstacle dans la mesure où on se donne les moyens de pouvoir communiquer dans cette langue. Ceci dit, il est sûr que la somme de
connaissances et de savoir (technique par exemple) disponible en anglais (sur les questions sur lesquelles nous travaillons) est bien supérieure à ce qui
est disponible en français. Cependant, les langues nationales sont aussi en situation de minorité par rapport au français comme le français l’est par
rapport à l’anglais.
Quelles sont vos envies, vos perspectives ?
Je pense que nous avons presque atteint la fin d’une phase (l’entrée dans le cyberespace des femmes d’Afrique francophone) et qu’il faudra donc bientôt
trouver de nouvelles directions. D’ici juin de l’an 2000, nous serons plus fixées.
propos recueillis par Olivier Barlet
(Africultures n°23 décembre 1999)