Le lancement du point ‘d’échange Internet du Sénégal (SENIX) marque l’aboutissement d’un combat mené par les membres de la société civile et un certain nombre de professionnels du secteur des TIC depuis que le Sénégal a été connecté à Internet en 1996. Hélas, que de temps perdu mais surtout que de milliards de FCFA gaspillés pour le paiement de frais de transit indus à des opérateurs internationaux, sans parler des conséquences indirectes telles le retard accusé par l’économie numérique, fortement tributaire des coûts et de la qualité des liaisons, alors que l’entreprenariat et l’innovation explosait dans notre écosystème. Pour avoir une idée de l’importance des pertes subies par le Sénégal, il faut savoir que suite à la mise en place d’un IXP au Botswana, une économie de plus de 800 000 dollars US par an a été enregistrée par les fournisseurs d’accès Internet de ce pays de 2,5 millions d’habitants, soit environ 400 millions de FCFA ! Et surtout que l’on ne nous dise pas que l’« on ne savait pas » tant ISOC-Sénégal, OSIRIS et d’autres, se sont régulièrement fait les avocats de la création d’un IXP dans tous les forums organisés par la puissance publique, les partenaires au développement ou la société civile dans lesquels il était question du développement d’Internet au Sénégal. L’Afrique du Sud avait d’ailleurs donné la voie à suivre, dès 1996, en mettant en place un premier IXP. A sa suite, le Kenya avec son KIXP, la Tanzanie avec le TIX, le Mozambique avec le MOZ-IX, le Zimbabwe avec le ZIXP, l’Egypte avec l’EG-IX, le Rwanda avec le RINEX, le Swaziland avec le SZIXP ou encore le Ghana avec le GIXP, pour ne citer que ceux-là, ont mis en place des IXP qui fonctionnent depuis près d’une décennie. Il aura donc fallu attendre que l’Union africaine (UA) adopte la Déclaration d’Addis-Abeba sur les TIC en Afrique, à l’occasion de la quatorzième session ordinaire de la Conférence de Chefs d’Etat et de Gouvernements, tenue du 31 janvier au 2 février 2010, pour que la création de points d’échanges Internet régionaux soit inscrite à l’agenda des Etats africains. Cependant, ce n’est qu’en 2013 que l’African Internet Exchange System Project (AXIS), visant à créer des IXP dans 33 pays, sera relancé grâce à un financement de l’Union européenne. Depuis, l’UA a organisé nombre d’ateliers de formation et aidé un certain nombre de pays africains à se doter d’un IXP au point qu’ils étaient au nombre de 37 sur le continent en 2015. Au Sénégal, s’il est vrai que l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) avait bien inclus la création d’un IXP dans son plan d’activités annuel en 2007, le projet aura mis près d’une décennie pour se réaliser ! De nombreux avantages devraient découler de la mise en place du SENIX parmi lesquels nous pouvons citer l’accroissement de la vitesse de connexion à Internet du fait de la plus grande disponibilité de la bande passante nationale, la diminution du temps de latence lié au traitement local du contenu local, l’optimisation de l’utilisation de la bande passante Internet internationale avec une réduction des coûts liés à la connexion à Internet, l’amélioration de la position du pays dans la négociation des accords de peering du fait de l’agrégation du trafic Internet national ainsi que l’incitation à l’hébergement de contenus locaux qui devrait lui-même entrainer la création de services à valeur ajoutée. Intervenant après le déploiement du protocole DNSSEC par le NIC Sénégal, qui garantit désormais la sécurité des adresses enregistrées dans le domaine « .sn » et la création de deux datacenters par la Sonatel et par Tigo, le lancement du SENIX devrait permettre au pays de faire un pas important sur la voie de la souveraineté numérique, à condition que les règles de collaboration et une relation de confiance prévalent sur les potentielles tentatives de contrôle de l’IXP par des opérateurs jouissant d’un monopole de fait sur les câbles internationaux. Reste maintenant à mettre en place le centre d’alerte et de réaction aux attaques informatiques (CERT) dont il est question depuis plusieurs années afin d’améliorer la résilience en termes de cybersécurité et de cybercriminalité, créer un organe de certification électronique et se positionner pour la création d’un IXP régional desservant la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), rôle auquel le Sénégal peut légitimement prétendre au regard des câbles sous-marins en fibre optique (Atlantis2, SAT3/SAFE, Glo1 et ACE) qui atterrissent sur ses côtes ainsi que de l’interconnexion de son réseau en fibre optique avec plusieurs pays de la sous-région (Gambie, Mali et Mauritanie).
Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales