La taxation des appels entrants : une mesure toujours pertinente au Sénégal ?
lundi 30 décembre 2024
Au Sénégal, le retour de la taxation des appels internationaux entrants, annoncé par le Premier ministre Bassirou Diomaye Faye lors de sa Déclaration de Politique Générale devant les députés, ravive un débat qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre en 2012. À l’époque, cette mesure controversée avait été abrogée par le régime de Macky Sall, sous la pression de critiques portant sur son efficacité et ses conséquences économiques. Aujourd’hui, dans un contexte technologique et économique profondément transformé, cette décision soulève de nombreuses interrogations.
Un contexte technologique bouleversé
Depuis une décennie, les usages en matière de communication ont radicalement changé. Les appels traditionnels, particulièrement internationaux, ont été largement supplantés par les applications Over-The-Top (OTT) comme WhatsApp, Zoom ou Skype. Ces plateformes permettent de communiquer gratuitement via Internet, rendant obsolètes les tarifs élevés des appels vocaux traditionnels.
Dans ce contexte, plusieurs questions se posent :
- La taxation des appels entrants est-elle encore pertinente aujourd’hui, alors que les OTT dominent les communications internationales ?
- Qui, en 2025, dépense encore de l’argent pour passer un appel international long et coûteux, lorsque des alternatives numériques sont facilement accessibles ?
Un impact économique à évaluer
La taxation des appels entrants vise principalement à générer des revenus pour l’État. Cependant, son efficacité économique reste à démontrer dans le contexte actuel. Les OTT ayant relégué la voix au second plan, les revenus potentiels issus de cette taxation pourraient être bien inférieurs à ceux d’il y a dix ans. De plus, cette mesure pourrait avoir des effets secondaires sur les acteurs locaux des télécommunications.
- Les opérateurs télécoms comme Sonatel peuvent-ils maintenir leur compétitivité face à une taxation qui pourrait encourager les utilisateurs à migrer davantage vers les OTT ?
- Quels seront les effets sur les Sénégalais de la diaspora, qui communiquent fréquemment avec leurs familles ? Cette mesure pourrait-elle creuser davantage le fossé numérique ?
Une contradiction avec les ambitions numériques du Sénégal
Le Sénégal s’est engagé dans une stratégie de transformation numérique ambitieuse, visant à moderniser ses infrastructures et à favoriser l’inclusion numérique. Le retour à une telle mesure semble, à première vue, contradictoire avec ces objectifs.
- Cette mesure s’inscrit-elle dans une vision cohérente de développement numérique, ou reflète-t-elle une tentative de pallier des déficits budgétaires à court terme ?
- Ne devrait-on pas plutôt privilégier des politiques favorisant l’innovation numérique et la taxation des usages liés aux données, qui sont en pleine croissance ?
Une question de compétitivité et d’attractivité
La taxation des appels entrants pourrait également nuire à l’image du Sénégal comme destination favorable aux investissements numériques. Comparé à d’autres pays de la région ayant choisi des approches alternatives, le Sénégal risque de se retrouver désavantagé.
- Quels enseignements pouvons-nous tirer des expériences d’autres pays ayant maintenu ou supprimé des taxes similaires ?
- Cette décision pourrait-elle dissuader des investisseurs dans un secteur des télécoms déjà sous pression ?
Vers un débat national
Afin de mieux comprendre les implications de cette mesure, il est essentiel de poser ces questions à des experts du secteur et aux décideurs politiques. En diffusant un sujet réalisé à l’époque par la TFM et en invitant des personnalités comme Aminata Dramé du Groupe Sonatel, le débat peut être relancé dans l’opinion publique. Cela permettra de croiser les perspectives économiques, technologiques et sociales.
La restauration de la taxation des appels entrants nécessite une réflexion approfondie. Si elle peut sembler justifiée sur le plan budgétaire, ses effets à long terme sur les usagers, les opérateurs télécoms et la stratégie numérique du Sénégal doivent être rigoureusement analysés. Le Sénégal, en quête de leadership numérique en Afrique, doit veiller à ce que ses décisions s’inscrivent dans une vision d’avenir cohérente et durable.
(Source : Le Techobservateur, 30 décembre 2024)