A l’ère du numérique, nombreuses sont les annonces relatives à des applications censées révolutionner les façons de faire et qui finalement se terminent par un flop retentissant. Il en est d’autres, par contre, qui apparaissent somme toute comme banales mais qui transforment radicalement les pratiques au point d’entrainer des disruptions majeures. Il en va ainsi du paiement mobile, également appelé « m-paiement » ou « mobile money », qui rencontre un succès fulgurant en Afrique. Contrairement à ce que certains pourraient penser, cette technologie n’est pas née sur le Continent mais bien dans les pays développés. Dès 2001, la société canadienne PaybyPhone permettait à ses clients de payer par téléphone divers services liés au monde du transport (achat de titres de transport, paiement de place de parking, etc.). Cela étant, c’est le japonais DoCoMo, avec sa solution « Osaifu-Keitai » qui signifie littéralement « portefeuille mobile », qui a véritablement réussi le passage à l’échelle. Cependant, dans ces pays, les systèmes de paiement mobile n’ont pas réussi à s’imposer durablement. Par contre, ils ont trouvé un terreau extrêmement fertile en Afrique où le contexte est totalement différent avec un taux de bancarisation extrêmement faible, des réseaux d’agences bancaires et de distributeurs automatiques de billets (DAB) embryonnaires, des services de mandats postaux peu fiables, une majorité de la population qui travaille dans le secteur informel et perçoit des revenus irréguliers et des paiements en espèces et des micros paiements qui sont rois. Comme souvent en matière d’innovation, ce qui constituait un handicap à la généralisation de services modernes, mais classiques, en l’occurrence le paiement par chèque, par virement ou par carte bancaire, s’est transformé en un avantage qui a permis le développement rapide et à grande échelle du paiement mobile. S’inspirant du succès rencontré par Safaricom avec M-Pesa, les opérateurs de téléphonie mobile se sont engouffrés dans ce qui apparait comme un nouveau relais de croissance. C’est ainsi qu’Orange Money, MTN Mobile Money, Airtel Money, Tigo Cash, etc. sont peu à peu devenus des acteurs majeurs au point de concurrencer les banques, et même les sociétés de transferts d’argent comme Wari et Jooni Jooni, sur leur propre terrain. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur leurs millions d’abonnés mais également sur des réseaux de commercialisation comportant des milliers de points de distribution franchisés à partir desquels il est possible de retirer ou envoyer de l’argent. Les banques ont bien perçu le danger qui les guette et elles ont décidé d’investir, elles aussi, le secteur du paiement mobile, offrant désormais à leurs clients des applications mobiles. Sont également entrés en scène des Fintech comme Numherit qui a développé, en partenariat avec des postes africaines, le porte-monnaie électronique Postecah ou InTouch qui propose sa plateforme universelle « Guichet Unique Touch » permettant d’intégrer tous les moyens de paiement existant. Au-delà, de plus en plus de grands facturiers, notamment les compagnies d’eau, d’électricité et de téléphone, proposent à leurs clients de payer leurs factures de manière dématérialisée, sans parler des compagnies pétrolières qui autorisent désormais leurs clients à payer leurs achats dans les stations-service par paiement mobile. Les changements qui s’annoncent ne concernent pas uniquement le volet achat de produits et services puisque le paiement mobile est aussi utilisé pour servir des prestations sociales comme c’est le cas au Sénégal avec le paiement des bourses de sécurité familiale. Demain, les bourses des étudiants pourraient être payées de la même manière et pourquoi pas les salaires des employés du secteur formel et informel qui ne gagnent pas des sommes trop importantes. Certes, la régulation de ces activités reste à stabiliser, notamment en ce qui concerne les transferts transfrontaliers et ceux impliquant un transfert de devises. Il convient d’être très vigilant face à ce nouvel écosystème financier qui voit intervenir des entités comme les opérateurs de télécommunications, sur des transactions en partie régulées par les banques centrales et en partie par les agences de régulation des télécommunications, mais il semble bien qu’il ne soit plus possible d’arrêter cette révolution tranquille qui est en marche. Quoiqu’il arrive, le paiement mobile à de beaux jours devant lui en Afrique et toute la question est de savoir si ce sont les banques ou bien les opérateurs de télécommunications qui en seront les grands gagnants, voire un troisième larron que l’on attend pas et qui est en embuscade.
Alex Corenthin
Secrétaire aux relations internationales