La Cour de justice de la CEDEAO constate que le Sénégal a violé la liberté d’expression et le droit au travail en raison des coupures d’Internet
mercredi 14 mai 2025
La Cour de justice de la CEDEAO a jugé que la République du Sénégal avait violé les droits à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et au droit au travail en raison de la coupure des services internet et des plateformes de médias sociaux en juin et juillet 2023. L’affaire n° ECW/CCJ/APP/37/23 a été portée par l’Association des Utilisateurs des Technologies de l’Information et de la Communication (ASUTIC) et M. Ndiaga Guèye, consultant en informatique et président de l’association.
Contexte de l’affaire
Les requérants alléguaient qu’en réponse aux manifestations qui ont suivi la condamnation du leader de l’opposition, M. Ousmane Sonko, le gouvernement sénégalais, par l’intermédiaire de ses ministères de l’Intérieur et de la Communication, avait arbitrairement restreint l’accès à internet et bloqué les données mobiles et les plateformes de médias sociaux. Ils ont affirmé que ces actions violaient leurs droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression, le droit d’accès à l’information, le droit de réunion et le droit au travail.
La République du Sénégal a justifié ces coupures en invoquant des préoccupations d’ordre public et de sécurité nationale liées à la diffusion de messages prétendument subversifs.
Conclusions de la Cour
La Cour s’est déclarée compétente pour connaître des requêtes en matière de droits humains. Concernant la recevabilité, les requêtes des deux requérants concernant la liberté d’expression et l’accès à l’information ont été jugées recevables par la Cour. Les requêtes de M. Guèye concernant le droit au travail et le droit de réunion ont également été jugées recevables. En revanche, les requêtes de l’ASUTIC concernant le droit au travail et le droit de réunion ont été rejetées comme irrecevables.
La Cour a réaffirmé que l’accès à Internet et aux médias sociaux est un élément essentiel du droit à la liberté d’expression et d’information. Elle a jugé que les actions du Sénégal ne reposaient sur aucun fondement juridique clair, ne satisfaisaient pas aux critères de légitimité et de proportionnalité, et constituaient donc une violation de l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).
La Cour a également accueilli la plainte de M. Guèye selon laquelle la coupure d’Internet avait eu un impact négatif sur ses activités professionnelles de consultant en informatique, violant ainsi l’article 15 de la Charte africaine et l’article 6 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).
Toutefois, la Cour a estimé que M. Guèye n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour étayer son allégation de violation de son droit à la liberté de réunion et a donc rejeté cette plainte.
Décision de la Cour
Dans sa décision finale, la Cour :
– A déclaré les coupures d’Internet et des réseaux sociaux illégales et constitutives d’une violation des droits des requérants à la liberté d’expression et d’information.
– A déclaré ces coupures comme une violation du droit au travail de M. Guèye. A accordé 250 000 francs CFA chacun à l’ASUTIC et à M. Guèye à titre d’indemnisation pour la violation de leurs droits à la liberté d’expression et d’information.
– A accordé 250 000 francs CFA supplémentaires à M. Guèye pour la violation de son droit au travail.
– A ordonné au Sénégal de s’abstenir d’imposer à l’avenir des restrictions illégales ou arbitraires à Internet.
Comité judiciaire
Le jugement a été rendu par un collège composé de :
L’honorable juge Sengu Mohamed Koroma (juge président)
L’honorable juge Dupe Atoki (membre)
L’honorable juge Edward Amoako Asante (juge rapporteur)
(Source : Cour de justice de la CEDEAO, 14 mai 2025)