Alors que les technologies financières gagnent du terrain dans plusieurs pays africains, le Sénégal voit son écosystème freiné par un obstacle de taille : l’absence d’agrément. Sur plus de 100 fintechs identifiées dans le pays, seules trois ont obtenu l’autorisation d’exercer légalement. Cette situation met un sérieux coup d’arrêt à un secteur en pleine expansion, où des solutions innovantes cherchant à démocratiser l’accès aux services financiers se heurtent à un mur réglementaire.
L’enjeu dépasse le simple cadre administratif. De nombreux entrepreneurs, porteurs de projets locaux ou attirés par le potentiel du marché sénégalais, se retrouvent dans une impasse. Plusieurs d’entre eux rapportent une coupure brutale de leurs services, ce qui n’est signalé dans aucun autre pays de l’UEMOA. Cette particularité nationale suscite des interrogations sur l’équité du traitement des demandes et l’harmonisation des procédures au sein de l’union monétaire. La frustration est d’autant plus grande que la BCEAO n’a délivré que dix agréments dans toute la région, sur plusieurs centaines de dossiers déposés.
Des procédures jugées opaques et inaccessibles
Du côté des autorités, le discours met en avant la qualité des dossiers soumis. Selon le directeur national de la BCEAO, François Sène, nombre de candidatures arrivent tardivement, incomplètes ou non conformes aux standards attendus. Un argument que certains acteurs contestent, évoquant des lenteurs administratives injustifiées et un manque de transparence dans les critères d’évaluation. Pour ces entrepreneurs, les délais de traitement s’étirent sans explication, et la complexité des démarches crée un filtre implicite entre les startups locales et la formalisation de leurs activités.
Il est difficile pour une jeune entreprise de naviguer dans un environnement aussi verrouillé. Les obstacles réglementaires sont d’autant plus problématiques qu’ils interviennent dans un secteur qui exige réactivité, innovation constante et adaptation rapide. Pour certains observateurs, c’est comme demander à une start-up de courir un sprint enchaînée à un tas de dossiers papier.
Risques pour l’innovation locale et la souveraineté numérique
L’ampleur du blocage soulève une question essentielle : à force de retarder l’émergence de fintechs locales, ne risque-t-on pas de laisser le champ libre à des géants étrangers mieux outillés pour franchir les barrières réglementaires ? Si l’intention de sécuriser les services financiers est légitime, une surprotection pourrait avoir l’effet inverse : étouffer la créativité nationale et créer une dépendance à l’innovation importée.
Dans un pays où le mobile money, les services de transfert, les portefeuilles numériques ou encore les microfinancements digitaux deviennent des leviers d’inclusion, cette paralysie administrative pénalise d’abord les utilisateurs finaux. Le paradoxe est frappant : alors que la technologie permet de rapprocher les populations des services financiers, la régulation en éloigne les acteurs les plus agiles.
Le dialogue entre régulateur et innovateurs semble plus que jamais nécessaire. Il ne s’agit pas de céder sur les exigences de sécurité ou de conformité, mais de trouver des mécanismes d’accompagnement plus souples, adaptés aux réalités du numérique. Le développement du secteur dépendra de la capacité à transformer la réglementation en tremplin, et non en barrière.
(Source : La Nouvelle Tribune, 23 mai 2025)