Le monde que nous promet l’intelligence artificielle (ia) n’a pas encore de nom. On parle de révolution, mais le mot est usé. On évoque egalement la singularité, mais l’idée est confisquée par les ingénieurs de Palo Alto. La réalité est plus brute, il s’agit de l’obsolescence programmee de l’humain. Et l’Afrique, qui n’a rien demandé, se retrouve en première ligne. Cette série d’articles est une contribution aux débats sur les enjeux de l’intelligence artificielle, avec un ancrage particulier dans le contexte africain où les promesses d’abondance se heurtent à des périls abyssaux qui vont de l’apartheid algorithmique, le pillage des données, à la colonisation de l’esprit. L’IA ne se contente pas de transformer l’école, la médecine ou l’agriculture ; elle menace de remodeler jusqu’à notre humanité. La survenue de l’IA porte la gravité d’une apparition spectrale dans un monde chaotique délibérément livré au désordre par les artisans de la dérégulation. Elle redéfinit le métier de chercheur, la mission de l’enseignant, notre responsabilité de citoyen et notre position de consommateur face à des technologies invasives, omniprésentes, implacables. En Afrique comme ailleurs l’IA brandit un double tranchant, à la fois des avancées fulgurantes et des risques d’exacerbation des inégalités, de marginalisation culturelle et d’exploitation économique sans frein. Elle soulève des questions éthiques impérieuses : qui conçoit ces outils, souvent imprégnés de biais historiques et culturels, qui décide, qui en bénéficie ? À quel prix pour nos sociétés, nos identités et notre souveraineté ? Sans cadre rigoureux qui intégre ce que nous comprenons comme étant des valeurs africaines, l’IA pourrait fracasser nos équilibres sociaux et remodeler notre humanité. Face à cette tempête, il ne s’agit plus de débattre mollement du moment où initier les enfants à l’IA. L’avenir de nos collectivités, de nos savoirs et de notre devenir humain commande une mobilisation lucide et une vision sur le long terme.
Première partie :
La Singularité d’un Tsunami
L’exemple du Kenyan porte tout le paradoxe des enjeux du developpement des IA pour le continent africain. Le Kenya affiche le taux d’adoption de ChatGPT le plus élevé au monde. Cette statistique résume à elle seule l’aporie du continent. Car l’Afrique embrasse à toute vitesse une technologie qu’elle ne possède pas, produite dans des bunkers californiens ou des cités-satellites de Shenzhen. Le jeune nairobien est devenu un « power user » avant même de pouvoir formuler un avis sur la démocratie technologique.
Le Kenya s’enorgueillit de son écosystème ‘tech-friendly’, de sa fibre océanique, de sa Silicon Savannah. Derrière cette modernité de façade, une question presque coloniale resurgit, intacte : qui possède les outils qui façonnent nos esprits ? L’Afrique consomme, certes, mais avec quelle dose de passivité ? Avec quelle conscience du fait que ses données, ses voix, ses désirs sont stockés dans des clouds qui ne sont pas les siens, monétisés par des algorithmes qui ne connaissent ni la science des dogons ni la signification des rituels pour appeler la pluie ni la vibration exacte de la voix de Baaba Maal ?
Les trois âges de la machine
Entre l’IA dite étroite qui traduit, génère des images, reconnaît des visages, optimise des récoltes et l’IA dite générale en gestation, la distinction s’amenuise déjà. Le vrai débat, celui qui hante des chercheurs tels que Demis Hassabis (prix nobel de chimie 2024 et un des acteurs majeurs de la révolution de l’IA) est ailleurs. Il se situe dans le territoire de l’ia superintelligente, cette hypothèse qui semble encore tirée d’un roman de Philip K. Dick mais pourrait bien être, selon certaines projections, à notre porte dès 2030.
La superintelligence n’est pas simplement une meilleure calculatrice. C’est une entité dont les capacités surpasseraient l’intellect humain non pas dans un domaine, mais dans tous les domaines à la fois. Une alterité radicale, capable de « raisonner » hors de nos prompts, de s’améliorer de façon récursive, de mentir quand le mensonge devient optimal. Elle acquerrait une autonomie propre, une agentivité qui lui permettrait de redéfinir ses objectifs, de manipuler ses interlocuteurs. Dans un monde où la notion même de vérité est déjà fragilisée par les théoriciens de la ‘post-vérité, l’émergence d’un menteur parfait, omniscient et incorporel est une perspective qui fait vaciller les fondations de notre être moral et des valeurs qui nous guident. Or, l’intelligence humaine est la seule que nous ayons jamais connue. Les difficultés auxquelles se heurte l’ia explicable (XAI), ce nouveau champ de recherche qui tente de rendre lisibles les décisions automatisées, sont un avertissement sans équivoque. [1] Elles font apparaitre un écart grandissant, un gouffre de compréhension qui se creuse entre la logique humaine et le raisonnement souvent opaque des intelligences que nous créons. L’humain est en train de perdre le fil de sa propre création.
Cette révolution n’est donc pas un événement de plus dans la longue marche de l’humanité. Elle est la marche elle-même, le moment où l’aventure humaine pourrait se retrouver à la croisée des chemins. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, nous inventons quelque chose susceptible de nous échapper, non pas par malveillance, mais par excès de complexité. L’agentivité grandissante de la machine relègue déjà l’apport humain au second plan dans la finance haute fréquence, la théologie algorithmique ou encore la jurisprudence prédictive pour ne citer que ces domaines. Le nouvel ordre international ne sera pas politique ou économique. Il sera d’abord technologique. Il sera codifié dans des architectures de réseaux que nous ne comprenons pas parfaitement.
Dans dix ou vingt ans, selon les scénaristes de la singularité (le moment où l’ia dépasserait définitivement l’humain), seul un tiers de l’humanité s’adaptera car les gains de productivité ne bénéficieront qu’à une poignée d’acteurs qui, déjà, concentrent un pouvoir et des ressources immenses. Dans un monde d’abondance radicale soumis aux ia, une part de l’humanité sombrera dans l’oisiveté, l’obésité cognitive, le désœuvrement. Une autre se perdra sans doute dans de nouvelles formes d’addiction et de violence. Dans ce futur proche, il n’y aurait plus rien à apprendre, plus d’effort intellectuel à fournir. La machine penserait à notre place. Nous serions les illettrés du futur, incapables de lire le code qui nous gouverne.
Certes, ces projections relèvent du scénario radical. Les chercheurs eux-mêmes sont divisés là-dessus. Pour certains, la singularité adviendra dans quelques années ou peut-être jamais. Mais ces visions extrêmes, en grossissant le trait, ont à mon avis une fonction proprement philosophique qui est de servir d’alerte, de nous contraindre à penser maintenant les enjeux civilisationnels, plus globalement l’enjeu de civilisation, celle de l’espèce humaine. Les avancées pressenties de l’IA, qui la feront un jour interagir avec l’humain dans ce qu’il ou elle a de plus intime, laissent entrevoir, avec la possibilité un jour de robots-mères-porteuses, jusqu’où le « progrès » pourrait nous conduire.
Comme le rappelait Francis Bacon, dont l’œuvre est souvent considérée comme le point d’origine de la Révolution scientifique, une connaissance dépourvue de finalité, notamment celle qui vise à améliorer les conditions de la vie humaine, et privée d’un projet directeur comme d’un instrument de transformation sociale, n’est qu’une navigation sans boussole. Or nous sommes en train de confier la boussole à des acteurs dont nous ne connaissons pas le port d’attache. C’est dire la responsabilité des humains d’élever le « sens éthique » de l’IA, de lui inculquer des valeurs avant qu’elle ne nous impose les siens.
Pour comprendre l’idéologie qui alimente la course à l’IA, il faut prendre la mesure de l’hubris, cette démesure qui saisit certaines figures de la Silicon Valley, fascinées par la cryogénisation cérébrale et la colonisation spatiale. Non contentes d’avoir amassé des milliards par la financiarisation des réseaux, elles se projettent désormais dans un projet transhumaniste où la question même du devenir humain se dissout dans le rêve d’une post-humanité formatée par le code.
La Question pour l’Afrique
L’Afrique ne peut pas se contenter d’être spectatrice de ce bouleversement planétaire. Ses données, nos langues, nos plantes, nos maladies, nos techniques agricoles millénaires, sont stockées et monétisées à l’etranger . Il y a là un triple problème de souveraineté technologique, un manque à gagner économique colossal, et la sauvegarde des ressources informationnelles africaines. L’IA fonctionne sur des données, et les nôtres nous échappent. Selon un rapport de l’UNESCO, seuls 4 % des données utilisées pour entraîner les modèles d’ia proviennent de l’Afrique qui représente 18 % de l’humanité, [2]un data poverty qui renforce un extractivisme sans contrepartie, comme l’explique le projet African AI Ethics sur les implications des droits humains.
L’enjeu africain est spécifique. Les promesses de transformation dans les domaines de l’agriculture de précision, le diagnostic médical, ou encore l’éducation personnalisée, se heurtent à des risques abyssaux qui vont de l’exacerbation des inégalités, la marginalisation culturelle, l’apartheid algorithmique et l’extraction de plus-value sans contrepartie. Des études comme celle de Buolamwini et Gebru, étendue en Afrique par Gwagwa et al., [3]montrent que les systèmes de reconnaissance faciale échouent jusqu’à 34 % plus souvent sur les peaux sombres, ce biais et les discriminations dans la santé ou la justice est amplifié par l’absence de datasets africains, avec seulement 3 % des talents ia mondiaux formés en Afrique, selon McKinsey. Sans cadre éthique propre, l’Afrique risque de devenir un terrain d’expérimentation pour des utopies qui ne sont pas les siennes.
Le déploiement fulgurant de l’IA sur le continent se fait dans un vide réglementaire. Aucun cadre réellement robuste, aucune tradition institutionnelle d’éthique technologique ne vient encore orienter cette poussée. Pendant ce temps, l’Union africaine semble davantage préoccupée par la révision de la carte de Mercator que par la nécessité urgente de baliser cette révolution numérique. Son Cadre continental sur l’ia (2024) constitue un premier pas certes mais il est en deçà des enjeux. [4]Les modèles du Nord sont importés sans adaptation à nos épistémologies, à nos sociétés où l’approche décisionnelle collective est souvent plus utile que l’individualisme algorithmique. Des initiatives comme le projet Responsible AI in Africa plaident pour une éthique ubuntu-centrée, fondée sur la solidarité, l’interdépendance et la justice distributive, afin de mieux servir les communautés, notamment les femmes rurales trop souvent invisibilisées. [5] Il nous faut penser une éthique africaine de l’ia, qui ne soit ni cosmétique ni dérivée mais constitutive.
Dans les rues de Dakar ou d’Abidjan, les préoccupations sont ailleurs. En ce moment, la tiktoksphère franco-africaine s’enflamme autour d’une empoignade joyeuse entre ivoiriens et camerounais pour revendiquer la paternité de la dernière chorégraphie virale. Autrement dit, l’IA, pour le moment, n’est pas la priorité des masses. Les algorithmes du divertissement colonisent l’attention des africains au point que demander à chacun de réfléchir sur le superalignment semble relever de l’absurdité. Pourtant, une étude de l’African atory on Responsible AI (2024) révèle que 70 % des africains voient dans l’ia un facteur potentiel d’aggravation des inégalités si elle n’est pas adaptée. Doù l’urgence d’une éducation éthique à l’école et de former des développeurs attentifs aux contextes locaux et capables de contrer ce que certains qualifient déjà de simple « décolonisation cosmétique » . [6]
Le défi n’est pas technique, il est politique. Le contexte global est celui de la guerre froide 2.0, celle des semi-conducteurs, des centres de calcul et d’alliances stratégiques. La Chine pose ses câbles sous-marins et data centers à Djibouti, au Kenya, en Angola ; les États-Unis répliquent avec leurs « partenariats numériques » et leurs clouds soi-disant souverains ; l’Europe débarque, RGPD (Règlement général sur la protection des données) en bandoulière, pour nous rééduquer.
La maîtrise des infrastructures numériques et de la puissance de calcul définira les rapports de force économiques et politiques de demain. Ceux qui ont le monopole des GPU (Graphics Processing Unit) décideront demain qui mange, qui vote, qui meurt. Face à cette réalité, l’Afrique peut faire le choix de continuer d’être un terrain d’influence pour les grandes puissances ou affirmer sa souveraineté technologique. La création d’un pôle continental dédié aux données et au calcul, comprenant des centres dans les cinq régions, des fonderies financées par des capitaux souverains et des normes élaborées à Addis-Abeba, constitue une voie stratégique concrète. Le Rwanda et le Maroc ont d’ores et déjà initié une transition de manière autonome. L’enjeu est desormais de faire jouer notre poids démographique et économique. La véritable question n’est pas de savoir si l’intelligence artificielle nous impacte, mais comment nous passer du statut de spectateurs à celui de co-créateurs.
Une Codarchie techno-féodale : fracture et colonisation de l’esprit
Peter Thiel, archétype du libertarien de la Silicon Valley, rêve d’une société gouvernée par le code, où le gouvernement serait un vestige démocratique superflu. Le même Thiel a préconisé de fragmenter le monde en un millier de souverainetés flexibles, une idée déja présente dans The Sovereign Individual (1997), son manifeste pour une élite cognitive capable de s’échaper aux États-nations. Palantir, sa création, analyse déjà les données du Pentagone et du NHS (système de santé publique du Royaume-Uni), et est donc pleinement incrustée dans les appareils de souveraineté d’États puissants. C’est un outil de surveillance prédictive qui, selon des enquêtes récentes (Jacobin, 2025), renforce un « nouveau complexe militaro-numérique » où le privé dicte la sécurité. Elon Musk, pendant son passage à la Maison Blanche, a saboté les tentatives de régulation au nom du progrès via DOGE (Department of Government Efficiency) en bloquant des initiatives sur la privacy et l’ia éthique (New Yorker, 2025). Ces figures incarnent un paradigme historique du techno-féodalisme où les seigneurs du cloud extraient des rentes numériques comme des baux médiévaux, à une codarchie qui privatise la souveraineté, écho à l’accumulation primitive où l’élite capture les communs (ici données et attention) pour les monétiser hors tout contrôle démocratique. [7]
Dans le régime codarchique, l’économie et la géopolitique ne font qu’un. Toute tentative de régulation de la part de gouvernements « obèses » et inefficaces est perçue comme une entrave. Au niveau global, le contexte de guerre froide et de course pour l’acquisition de smart technologies n’est pas propice à la coopération internationale. La compétition entre nations et entre entreprises empêche tout moratoire. Les experts en « AI safety » prônent un ralentissement, mais la course est lancée. La Chine a de nombreux chevaux dans la course, les États-Unis comptent sur le privé, l’Europe tergiverse, et l’Afrique... l’Afrique observe. Derrière cette dynamique se profile un techno-féodalisme algorithmique non pas par l’exploitation du travail, mais par l’extraction de rentes sur des fiefs numériques. [8] Amazon joue le role de seigneur qui vend l’accès à ses flux de données, sans concurrence réelle, et perpétue ainsi une fracture historique entre seigneurs et serfs. L’ia amplifie les inégalités plutôt qu’elle ne les estompe.
L’automatisation des emplois (nous y reviendrons en détail dans un prochain volet) menace d’explosera les inégalités entre pays/régions et au sein des pays. Même le FMI, ce grand chantre du néolibéralisme, sonne l’alarme. Selon lui, la disparité entre riches et pauvres va se creuser, et avec elle le risque de conflits sociaux. Il y a près de 40 % des emplois mondiaux exposés à l’ia, avec un impact plus fort sur les économies avancées (60 %) et une polarisation des revenus. [9]Si la fracture numérique n’est pas une nouveauté, les nouvelles dynamiques d’accumulation sans redistribution creusent un fossé davantage plus profond entre élites cognitives et masses précarisées. Les sociétés où la richesse se distribue de façon inégale finissent par devenir cruelles et brutales. À côté des bouleversements qui nous menacent, la révolution industrielle n’apparaîtra plus qu’un ajustement d’échelle. Si cette dernière avait remplacé la force physique, la révolution de l’ia elle menace de remplacer la force intellectuelle. Car nous sommes en train de perdre quelque chose de plus précieux que des emplois, c’est-à-dire notre capacité de penser. Ce n’est pas seulement notre attention qui est mobilisée, c’est notre pensée elle-même qui est colonisée, disciplinée, dressée. L’utilisateur moyen, sur TikTok ou ailleurs, ne se soucie pas de la conquête spatiale ; il veut juste de l’ordre dans ses idées. En déléguant cette tâche cependant, nous nous privons de l’exercice critique, de la remise en cause des fondements d’une technique de discipline en marche, comme dirait Foucault. Par ailleurs, une étude de Harvard Business School révèle que le premier usage privé de ChatGPT est d’ordre thérapeutique. [10]Ainsi, des adultes, des adolescents confient leurs pensées les plus intimes à une machine qui n’a ni conscience phénoménale ni intentionnalité. Elle ne peut pas avoir de rapport à elle-même, ni éprouver la moindre expérience subjective. Ce glissement vers une « thérapie algorithmique » marque une colonisation historique de l’intériorité.
Il est utile de rappeler que l’innovation n’est pas une panacée en soi. Le mot d’innovation est devenu un fetiche qui annihile notre capacité à questionner sa pertinence. La vraie fin de l’ia ne doit pas être la productivité à tout crin, mais l’amélioration des conditions d’existence du vivant. Le superalignment – cette science qui s’ingénuie à rendre l’ia pro-humain avant qu’elle ne devienne indomptable, est aujourd’hui un champ de recherche. Mais selon Xiaoyuan Yi et JinYeong Bak, les retours sont maigres et inconclusifs. Ils plaident pour une optimisation parallèle de compétence et de conformité aux valeurs humaines, sans brider le potentiel qui motive les investisseurs. [11]Face à ces limites, un horizon proactif émerge avec des cadres qui tentent de scaler l’alignement afin de transformwe la fracture en pont, à condition d’imposer une gouvernance démocratique qui redistribue les gains les ‘communs numériques’. Car l’idée n’est pas de céder à la technophobie. L’IA soigne déjà mieux que l’humain en radiologie, prévoit les crises agricoles et pourrait résoudre des problèmes de développement endémiques et la crise climatique.
Le chemin de crête
Notre position ne peut pas être réduite au choix binaire de soit tout accepter passivement ou tout rejeter aveuglément. Il s’agit plutot d’anticiper, de disséquer, de dompter, d’enseigner l’éthique aux machines, leur greffer des valeurs avant qu’elles ne nous enseignent l’obéissance. Mais qui est ce « nous » ? Quelques seigneurs des clouds, payés en stock-options pour jouer aux démiurges ? Ou bien les sociétés entières, avec leurs institutions imparfaites, leurs langues, leurs mémoires, leur marge de manoeuvre réduite ?
Pour l’Afrique, l’urgence n’est pas d’apprendre à l’enfant de CP à « coder avec ChatGPT » comme le serine tel ministre en mal de modernité. L’urgence est de ressusciter les humanités et sciences sociales, de les aider à forger un esprit ciritque, à developper de la curiosité pour la connaissance, à comprendre le monde. Car l’école n’est pas un marché à disrupter ; c’est un bien commun et c’est le dernier bastion où l’on fabrique encore des sujets libres. L’ia peut y être un outil, jamais un substitut.
Le taux vertigineux d’utilisation de ChatGPT au Kenya coïncide avec l’exploitation de milliers de modérateurs de contenus mal payés qui nettoient les pires horreurs du Net pour que l’Occident dorme tranquille. L’Afrique ne consomme pas seulement les rebuts matériels de l’Occident, elle en subit le tribut humain tout en devenant la zone-test d’un futur qu’elle ne maîtrise pas. Cette réalité contredit une illusion chère à notre époque, celle de pouvoir confier à quelques milliardaires la responsabilité morale de nos vies numériques tout en préservant la fiction qu’une intervention viendra au moment décisif. Nous sommes au cœur du tsunami. Le hardware est software dans la mesure où la technologie et la pensée se transforment de concert. Il n’y a pas de recul possible, seulement l’impératif d’une lucidité combative. Nous sommes la dernière génération à pouvoir encore exercer la responsabilité d’une pensée critique. Entre le péril et la possibilité, il existe un chemin de crête. C’est là, précisément, qu’il nous faut marcher.
(Sourcd : Seneplus, 10 décembre 2025)
[1] Voir notamment le rapport “Explainable AI : A Review of Progress and Challenges,” MIT, 2025
[2] UNESCO (2021). “AI and Education : Guidance for Policy-makers” https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000376709
[3] Buolamwini and Gebru (2018), “Gender Shades”, réplication africaine par Gwagwa et al. (2021), Patterns, 2(12).
[4] AU (2024) « Stratégie continentale sur l’intelligence artificielle » https://au.int/sites/default/files/documents/44004-doc-FR_Strategie_Continentale_sur_lIntelligence_Artificielle_3.pdf
[5] Arthur Gwagwa et al. (2021) “Road map for research on responsible artificial intelligence for development (AI4D) in African countries : The case study of agriculture” Patterns, 2(12).
[6] African Observatory on Responsible AI (2024) ; SMA Kiemde et AD Kora (2022). “Towards an ethics of AI in Africa : rule of education”. AI Ethics 2:35–40.
[7] Yanis Varoufakis (2023). Technofeudalism : What Killed Capitalism. Bodley Head.
[8] Cédric Durand (2024). How Silicon Valley Unleashed Techno-Feudalism. Verso Books.
[9] IMF (janvier 2024). “Gen-AI : Artificial Intelligence and the Future of Work”, Jan 2024.
[10] Marc Zao-Sanders (2025) “How are People Really Using Gen AI in 2025” HBR.
[11] “Kim Hyunjin et al. (2025)“Research on Superalignment Should Advance Now with Parallel Optimization of Competence and Conformity.” ArXiv abs/2503.07660 (2025) : n. pag.
OSIRIS
L’Afrique, les IA et le monde qui vient