Kamal Okba : “Les trois opérateurs sont prêts techniquement et devraient offrir avant fin 2025 la 5G”
jeudi 12 juin 2025
Passé par plusieurs marchés africains, Kamal Okba dirige aujourd’hui l’opérateur Free au Sénégal. Mais il continue de suivre de près les évolutions du secteur télécom au Maroc, dont il salue les acquis -tout en pointant les marges de progression. Selon lui, la 5G devrait être opérationnelle dans le Royaume avant fin 2025, à condition d’en faire un véritable levier industriel et non un simple effet d’annonce.
Cela fait quelques années déjà que vous avez vogué vers d’autres horizons, mais on comprend que vous continuez tout de même de suivre de très près l’évolution du paysage des télécoms au Maroc. Qu’est-ce que vous en pensez, justement, de ce paysage à l’heure actuelle ?
Effectivement depuis une quinzaine d’années, j’ai eu le privilège de diriger des opérateurs télécoms et mobile money dans plusieurs pays en Afrique en commençant par la Mauritanie, le Tchad, le Gabon, la Tanzanie et le Sénégal ainsi que des immersions dans les marchés du Kenya, du Niger, du Nigeria ou de la Zambie. Toutefois, je n’ai pas perdu d’œil l’évolution du marché des télécoms marocain, et qui de l’avis des spécialistes reste l’un des marchés les plus développé de notre continent, avec un taux de pénétrations de la 4G à plus de 99% de la population et plus de 1,8 foyers fibrés et un target de 3,6 millions de foyers connectés à la fibre avant fin 2026. Certes, le lancement de la 5G a pris du retard, mais la qualité des vitesses de connexion sur réseaux 4G permet de ne pas faire sentir ce retard pour la partie “vitesse de connexion”.
Toutefois, je pense que les trois opérateurs sont prêts techniquement et devraient offrir avant fin 2025 la 5G au Maroc, avec tout ce que cette technologie peut apporter au-delà de la vitesse de la connexion, pour les industriels dans beaucoup de secteur comme les mines, la santé, la gestion des infrastructures… L’année 2026 sera cruciale pour se rattraper et utiliser la 5G pour créer de la valeur pour l’économie numérique marocaine.
Parfois on a le sentiment qu’on est face à un véritable paradoxe : on a parmi les opérateurs de télécoms les plus puissants d’Afrique, au point qu’on en est arrivé à se déployer dans d’autres pays du continent, mais avec tout de même ce sentiment qu’on peut faire largement mieux. Constat réel ou fausse impression ?
Je ne vois pas de paradoxe, je vois plutôt une réussite du secteur télécom marocain qui a su grâce à Maroc Telecom s’imposer sur notre continent en concurrençant de grands groupes internationaux et en se mettant dans le top5 des plus grands groupes télécom en Afrique. Est-ce qu’on aurait pu faire mieux ? Mais bien sûr la réponse est oui. Le groupe Maroc Telecom aurait pu continuer et accélérer son expansion pour rentrer dans le top3 des opérateurs télécoms africains. Sans oublier que Inwi avait aussi l’occasion de pouvoir jouer un rôle sur le continent. Le marché africain du numérique et du digital regorge d’opportunités, et le Maroc devrait continuer d’apporter son expérience et continuer l’expansion de ses champions nationaux sur le continent.
Quels pays vous semblent aujourd’hui des modèles à suivre en termes de régulation pour le Maroc ? À considérer bien sûr que le marché marocain ne soit pas trop « unique »...
Je pense que le régulateur marocain est très bon et devrait être un modèle pour plusieurs régulateurs dans le monde.
Certes, on ne peut être parfait, mais les cas modèles qu’on devrait suivre sont ceux qui prennent des décisions majeures en faveur de l’encouragement de l’investissement, de l’innovation et de la qualité de service. Les régulateurs qui encouragent l’innovation et arrivent à créer des environnement favorables à la disruption technologique.
Vous n’êtes pas sans savoir que les télécoms, c’est aussi un enjeu de souveraineté, et c’est d’autant plus le cas avec ce chantier de la 5G qui met par exemple en opposition à l’heure actuelle les puissances occidentales et la Chine, avec ce refus frontal dans certains pays du déploiement de l’opérateur chinois Huawei. À votre avis, comment peut se situer le Maroc à ce niveau ?
La souveraineté ne doit pas être discutable et ceci commence par la décision de travailler librement avec les meilleurs acteurs du secteur, et Huawei en est l’un des plus avancés. Aujourd’hui les quatre fournisseurs principaux à savoir Huawei, Nokia, Ericsson et ZTE, devraient à mon avis avoir leur place et leur chance sur le marché marocain, et si on devrait même encourager ceux qui pourraient faire un transfert de compétence en créant des chaînes de production au Maroc à l’image de l’industrie automobile ou aéronautique.
Hier c’étaient les Français, avec Maroc Telecom, et les Espagnols, avec Méditel, actuellement Orange, qui arrivaient au Maroc pour trouver de nouvelles opportunités. Peut-on imaginer un jour l’inverse, c’est-à-dire les Marocains arriver en France et en Espagne ?
Nous ne devons pas avoir de complexe vu que nous avons plusieurs entreprises ou groupes marocains qui ont achetés des entreprises européennes, et on peut citer le cas d’Intelcia avec mes amis Karim Bernoussi et Youssef Elaoufir qui, à ma connaissance, ont lancé la première OPA d’une entreprise africaine pour prendre le contrôle d’une entreprise en France.
Et on peut citer une multitude d’autres entreprises comme Dislog qui a fait des acquisitions en Espagne, Al Mada qui a fait des acquisitions en Italie, HPS (monétique) et Laprophan (pharmaceutique) en France, sans oublier l’OCP qui a créé plusieurs branches au niveau mondial et l’UM6P qui a créé sa branche universitaire en France et au Canada.
Alors, est-ce que c’est possible dans le secteur des télécoms ? La réponse est oui. Est-ce que c’est facile ? La réponse est non, au vu des valorisations très importantes des opérateurs télécoms. Mais le secteur des télécoms aujourd’hui a accouché d’un modèle qui a divisé l’opérateur traditionnel qu’on connaissait en plusieurs opérateurs d’infrastructures comme les datacenters, les FiberCo (gestionnaires des capacités fibres et leurs monétisations, les TowerCo (pour la gestion des pylônes et infrastructures d’énergies et passives) et mêmes les gestionnaires de capacités internationales (câbles sous marins, wholesale et trafic de communication internationale).
Maroc Telecom et Inwi ont annoncé dernièrement la création d’une TowerCo et d’une FiberCo, et ceci est une bonne chose pour l’écosystème télécom au Maroc mais aussi devrait créer un champion national qui sera capable de s’internationaliser et de réaliser des acquisitions en Afrique, et pourquoi pas en Europe et devenir de grands opérateurs d’infrastructures internationaux. L’inteligence artificielle va quant à elle augmenter considérablement le besoin en datacenters, et donc le besoin d’avoir des champions nationaux capables de s’internationnaliser.
(Source : Maroc Hebdo, 12 juin 2025)