Interopérabilité sans Wave : l’Afrique mérite mieux que des demi-révolutions
lundi 29 septembre 2025
Ce 30 septembre 2025 devait marquer un tournant. Le projet d’interopérabilité de la Banque centrale arrive enfin à maturité et devient officiellement opérationnel. Pour beaucoup, dont moi, ce jour symbolisait l’entrée dans une nouvelle ère : celle où les frontières entre opérateurs de monnaie électronique seraient définitivement abolies, où l’envoi d’argent deviendrait aussi naturel et universel que passer un appel téléphonique.
Mais la réalité est toute autre. Au moment du lancement, le principal acteur du marché, Wave, est absent. Peu importent les justifications avancées — techniques, réglementaires ou contractuelles — le constat demeure : cette interopérabilité commence incomplète, amputée de l’acteur qui concentre visiblement l’essentiel des usages du mobile money au Sénégal. Comment prétendre révolutionner un marché sans celui qui en est la locomotive ?
À contre-courant, Wave, grand acteur des paiements mobiles dans plusieurs pays de la sous-région, a choisi de ne pas intégrer ce système pour l’instant, créant un contraste qui attire l’attention des observateurs. Mais que révèle ce refus ? S’agit-il d’une option stratégique visant à peser sur les règles du jeu, ou d’une simple prudence technologique ? Est-ce une manière de défendre son modèle économique ou une prise de risque qui pourrait se retourner contre lui ?
Car ce choix, en apparence calculé, comporte un risque réel : les usagers, lassés de jongler entre plateformes, pourraient privilégier les écosystèmes interconnectés pour plus de simplicité et de transparence. Wave peut-il se permettre d’être absent au moment où l’Afrique de l’Ouest prend le virage historique de l’interopérabilité financière ? Peut-il rester longtemps en marge sans voir s’éroder sa position dominante, sous la pression combinée des régulateurs et des concurrents plus agiles ?
Il faut le dire clairement : l’Afrique doit sortir de l’ère des demi-projets et des demi-révolutions numériques. Nous devons viser des réussites totales, des projets qui tiennent leurs promesses de bout en bout, qui respectent les utilisateurs jusqu’à la dernière étape. Lancer une interopérabilité sans Wave, c’est comme inaugurer une autoroute qui s’arrête en rase campagne. Cela entretient l’idée que la digitalisation en Afrique est souvent plus un slogan qu’une réalité vécue.
Il est aussi urgent de placer l’exigence de qualité de service au centre de ces projets. L’interopérabilité n’est pas un simple bouton à activer, c’est un engagement à rendre l’expérience de millions d’usagers plus simple, plus rapide, plus équitable. Ne livrons pas les consommateurs à un système qui les obligerait à jongler entre banques et opérateurs, avec des frais cachés, des délais d’exécution variables et des interfaces qui ne parlent pas toujours le même langage.
Nous avons trop longtemps accepté les projets partiels, les expérimentations qui s’essoufflent, les solutions qui démarrent en fanfare pour s’éteindre en silence. Les MVNO en sont un exemple criant : présentés comme la grande ouverture du marché télécoms, ils n’ont jamais tenu leurs promesses et ont disparu des radars sans que l’on en tire un véritable bilan. Nous n’avons pas le droit de répéter ce scénario.
Ce lancement doit donc être le début d’un vrai suivi, avec des échéances claires, une communication transparente et un calendrier pour l’inclusion de tous les acteurs, Wave compris. Il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais de dire que nous avons collectivement la responsabilité de livrer des projets complets, robustes, utiles. Parce qu’à la fin, ce sont les citoyens qui payent le prix de nos demi-mesures, de nos retards, de nos compromis.
Soyons exigeants envers nous-mêmes. Ne nous contentons pas de dire “un tien vaut mieux que deux tu l’auras” quand l’avenir nous appelle à viser plus haut. Optons pour le meilleur, tenons nos engagements, et rappelons que l’innovation technologique n’a de sens que si elle sert réellement l’intérêt général. L’Afrique mérite des réussites pleines et entières, pas des promesses à moitié réalisées.
(Source : Le Techobservateur, 29 septembre 2035)