Internet par satellite au Sénégal : Le silence institutionnel qui interroge
dimanche 9 novembre 2025
Le 22 septembre dernier à New York, lors de l’événement Unstoppable Africa, le Président de la République a créé un effet d’onde dans le secteur des télécommunications sénégalais. Bassirou Diomaye Faye y affirmait que l’État avait “signé avec un opérateur satellitaire” afin d’assurer une couverture intégrale du territoire en matière de connectivité avant la fin de l’année. Une annonce forte, en phase avec la volonté affichée d’inclusion numérique inscrite dans le New Deal Technologique. Pourtant, plusieurs semaines après, une question demeure sans réponse : qui est cet opérateur et avec quelles conséquences sur le marché ?
Car depuis cette déclaration, le silence domine. Ni le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, pourtant responsable du secteur, ni le régulateur, l’ARTP, n’ont confirmé ou commenté publiquement l’information. Sollicité à plusieurs reprises, les services d’Alioune Sall n’ont fourni aucun retour. L’ARTP, de son côté, se limite à déclarer : “Nous ne pouvons pas trop nous prononcer sur ce sujet pour le moment. Dès que possible, nous partagerons toutes les informations utiles“. Quant au Fonds de Développement du Service Universel des Télécommunications, acteur clé du financement de la connectivité en zones rurales, il se dit en attente de “concertations” avec l’autorité de tutelle avant toute prise de position.
Pourquoi ce silence institutionnel ?
Pourquoi l’État ne confirme-t-il pas l’identité de l’opérateur, alors même que le président affirme que la signature est actée et que les “formalités administratives” sont terminées ? S’il s’agit d’un accord finalisé, pourquoi aucune communication institutionnelle, aucun décret ou arrêté ne vient l’officialiser ?
Dans les cercles spécialisés, un nom circulait déjà avant l’annonce : Starlink, la constellation satellitaire de SpaceX, fondée par Elon Musk. L’entreprise avait annoncé son arrivée au Sénégal en 2025, ouvert des précommandes de terminaux à 9 dollars et présenté le pays comme futur marché actif sur sa cartographie, à en croire l’Agence Ecofin. Mais si l’hypothèse semble logique, elle n’est toujours pas confirmée.
Une hypothèse crédible mais toujours non confirmée
L’absence de confirmation officielle alimente les interrogations. S’agit-il d’un accord encore fragile ? D’un processus réglementaire inachevé ? De négociations encore en cours avec les opérateurs déjà installés ? Ou d’une hésitation stratégique devant l’impact potentiel d’un acteur global sur l’équilibre du marché ?
Selon le calendrier annoncé par le Chef de l’État sénégalais lors de son séjour au pays de l’Oncle Sam évoqué plus haut, l’objectif d’une couverture nationale par satellite “avant la fin de l’année” apparaît difficilement tenable. L’entrée d’un opérateur satellitaire en orbite basse, à en croire un expert bien placé, nécessite l’obtention d’autorisations, la définition de paramètres de cohabitation avec les réseaux terrestres, la fixation de contributions au service universel, l’encadrement de la fiscalité ainsi que la garantie de la souveraineté des données. À ce jour, aucune de ces étapes n’a été rendue publique.
La position de Sonatel : ouverture prudente, mais avec conditions
Face à cette situation, Sonatel a pris position de manière structurée en répondant à nos questions. L’opérateur historique rappelle que la technologie satellitaire ne lui est pas étrangère. Il évoque notamment la station de Gandoul, exploitée depuis 1973, ainsi que les partenariats établis au fil des décennies avec Intelsat, Eutelsat ou Inmarsat, qui s’inscrivent dans son héritage d’innovation. Sonatel annonce par ailleurs travailler au lancement de nouvelles offres de connectivité par satellite d’ici la fin de 2025, destinées à couvrir les zones blanches. Une orientation que la Directrice de la Communication institutionnelle et des Relations extérieures avait d’ailleurs réaffirmée lors de l’ouverture officielle de la 8ᵉ édition du SIPEN, le 16 octobre dernier au King Fahd Palace.
En revanche, du côté de YAS, l’entreprise indique ne pas souhaiter s’exprimer pour l’instant, préférant attendre la publication de sa “position officielle” dans les jours à venir. Quant à Expresso, malgré une promesse initiale de nous revenir, aucun suivi n’a été donné à ce jour.
Le débat central : équité de la concurrence et souveraineté
L’équipe de Brelotte Bâ met surtout en avant un problème fondamental : le cadre de concurrence. Elle souligne que le marché sénégalais est structuré autour d’investissements lourds et régulés à son niveau. Le renouvellement de la licence incluant la 4G a coûté 100 milliards de francs CFA. La facturation annuelle des fréquences avoisine 20 milliards de francs CFA. La licence 5G a coûté 34,5 milliards de francs CFA. Et ces engagements s’accompagnent d’obligations d’aménagement du territoire, de continuité de service, d’interception légale et de fiscalité nationale.
Un opérateur satellitaire comme Starlink, dont l’infrastructure est dans l’espace et non sur le territoire, n’assumerait pas ces contraintes au même niveau. De plus, le modèle économique proposé nécessite l’achat d’un terminal dont le coût moyen se situe entre 220.000 et 440.000 francs CFA, pour un abonnement mensuel pouvant atteindre 60.000 francs CFA. Ce modèle n’est pas aligné avec la capacité financière des populations rurales que l’initiative politique vise à connecter en priorité, prévient encore la marque Orange.
Vers un schéma de partenariat plutôt qu’une concurrence frontale ?
Dès lors, dans une approche de compromis, Sonatel estime que si un opérateur satellitaire devait entrer au Sénégal, il devrait le faire par le biais d’une distribution en partenariat avec les opérateurs installés, garantissant ainsi le respect des obligations nationales en matière de service universel, de sécurité des communications et de fiscalité.
Interrogé sur la question, un expert en régulation des marchés numériques résume ainsi la situation : “L’enjeu n’est pas de savoir si le satellite va entrer sur le marché, mais à quelles conditions. Les technologies satellitaires sont une opportunité. Mais sans cadre clair, elles peuvent devenir un facteur de déstabilisation économique et de vulnérabilité stratégique. Le Sénégal doit éviter de se retrouver dans un modèle où les flux de données, de revenus et de contrôle sortent du territoire sans contrepartie locale“.
Une annonce forte, mais désormais un besoin urgent de clarification
L’annonce présidentielle a créé une attente. Le silence qui l’a suivie suscite désormais des interrogations. Si l’opérateur est connu, pourquoi ne pas l’annoncer ? Si le calendrier est fixé, pourquoi ne pas l’expliquer ? Et si le choix est stratégique, pourquoi ne pas le porter publiquement ? La couverture universelle est un objectif. Le satellite peut en être un levier. Mais avant les antennes, il faudra forcément des réponses.
Pour prolonger le débat, retrouvez-nous en direct ce mercredi 12 novembre 2025 à partir de 15H GMT dans “Les Après-Midis de la Tech“.
(Source : Le Techobservateur, 9 novembre 2025)
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