Dans un contexte mondial marqué par un durcissement des politiques migratoires, les États-Unis ont récemment lancé une mise en demeure à plusieurs pays, dont le Sénégal. En cause : des défaillances en matière d’identification des citoyens, de coopération consulaire et de respect des règles de séjour. Faute de mesures rapides et concrètes, les visas pour les ressortissants sénégalais pourraient être suspendus dans les 60 jours.
L’exigence américaine : fiabilité, sécurité, coopération
Washington demande au Sénégal de prouver sa capacité à garantir l’authenticité de l’identité de ses citoyens. Les failles du système d’état civil — encore majoritairement manuel, peu interconnecté et vulnérable — alimentent les doutes sur la fiabilité des documents délivrés. Les États-Unis exigent :
– La modernisation du registre d’état civil
– Le renforcement des passeports biométriques
– Un protocole sécurisé d’échange de données
Des projets en panne
Malgré l’annonce de projets ambitieux ces dix dernières années — numérisation des registres, système biométrique centralisé, réforme du RAVEC — les résultats tardent. Soutenus par des partenaires comme l’UE, la BAD ou la Banque mondiale a couts de milliards, ces projets n’ont pas été finalisés, freinés par un manque de volonté politique, de coordination et de financement.
Le projet NEKKAL, visant à permettre l’accès en ligne aux documents d’état civil, pourrait répondre à ces enjeux, mais il reste à concrétiser.
Visa, dépassements de séjour et réadmission : des chiffres alarmants
En 2024, plus de 540 cas de dépassement de visa ont été recensés chez les Sénégalais. Cela dépasse le seuil toléré par Washington, qui y voit un manque de suivi consulaire. Pour inverser la tendance, le Sénégal devra :
– Lancer une campagne de sensibilisation sur les durées de séjour
– Déployer une base de données consulaire pour suivre les ressortissants à l’étranger
– Impliquer les familles, les daïeras, les ambassades et les services publics dans le suivi des départs
Autre sujet de préoccupation : la coopération en matière de réadmission. Les États-Unis dénoncent la lenteur des autorités sénégalaises à répondre aux demandes d’identification et de délivrance de laissez-passer pour les expulsions. Or, pour Washington, un pays partenaire doit pouvoir reprendre rapidement ses citoyens en situation irrégulière.
Extrémisme, fraude et discours haineux : un cadre à renforcer
Enfin, les Américains exigent une position claire contre :
– Les réseaux frauduleux (faux documents, usurpations d’identité)
– Les discours extrémistes et antisémites
– Les actes hostiles aux valeurs démocratiques
Bien que le Sénégal soit un exemple de tolérance religieuse, les autorités doivent désormais adopter des lois dissuasives, surveiller les contenus en ligne, et renforcer leur coopération antiterroriste. Cela implique aussi une éducation civique renouvelée, portée par les écoles, les médias et les guides religieux.
Que peut faire le Sénégal dans les 60 jours ?
Le compte à rebours est lancé. Trois axes d’action s’imposent :
1. Réformer en urgence l’état civil
– Relancer et financer le Plan national de modernisation
– Organiser une campagne de régularisation pour les citoyens sans actes
– Créer un registre biométrique centralisé, interconnecté avec les polices et les mairies
– Rendre obligatoire la déclaration des décès, en particulier en zones rurales
– Sanctionner les agents qui volent ou revendent des identités
2. Renforcer la coopération sécuritaire
– Établir un protocole sécurisé d’échange de données (type PISCES) avec les agences américaines
– Nommer un attaché consulaire dédié au traitement des expulsions et à la vérification documentaire
3. Lutter contre les dépassements de visa
– Lancer une campagne d’information dans la diaspora
– Mettre en place une base de données de suivi des Sénégalais à l’étranger, connectée aux services de sécurité
Diplomatie proactive et transparence
Le Sénégal doit adopter une démarche diplomatique forte et transparente :
· Transmettre une note officielle d’engagement au Département d’État américain, précisant les mesures immédiates
· Mettre en place un mécanisme bilatéral de suivi tous les 15 jours
· Impliquer la CEDEAO et l’Union africaine dans la création de normes régionales sur l’identité numérique
Conclusion : Moderniser ou s’isoler
À l’ère numérique, l’identité fiable est la clé de la mobilité. Le Sénégal dispose des compétences, de la technologie et des partenaires pour réussir cette réforme. Le moment d’agir est maintenant : moderniser l’état civil, sécuriser la mobilité, restaurer la confiance. Ce que viennent de vivre les « Lionnes » du basket, privées de visa par l’ambassade des Usa à Dakar, est un avant-goût….
Sékou Kamara, Auditeur certifié, Éducateur et Essayiste
(Source : Le Soleil, 20 juin 2025)