Ghana, Nigeria, Cameroun… l’Afrique face aux coupures de la fibre optique
dimanche 25 mai 2025
La Chambre ghanéenne des télécommunications (GCT) a récemment révélé que le pays a enregistré 5600 coupures sur son réseau de fibre optique en 2024. Bien qu’il soit en baisse par rapport aux 6232 coupures recensées en 2023, ce chiffre témoigne de la persistance d’un problème répandu dans plusieurs pays africains. Ce dernier affecte non seulement la disponibilité et la qualité des services télécoms, mais cause également d’importantes pertes financières aux opérateurs.
S’exprimant début mai lors de la 24e édition du Forum des connaissances de la GCT, Kenneth Ashigbey son Directeur général a listé diverses causes des coupures de fibre optique. Les plus fréquentes sont les travaux routiers (20,68%), les vols et actes de vandalisme (13,98%), ainsi que les activités des promoteurs immobiliers (13,4%).
À cela s’ajoutent les constructions de caniveaux et de ponts, les incendies, l’agriculture, les inondations, l’exploitation minière, ainsi que les travaux menés par des entreprises publiques comme la Ghana Water Company Limited (GWCL) et l’Electricity Company of Ghana (ECG).
Ces dommages ont de lourdes répercussions sur la qualité des services, la continuité des activités et la confiance des usagers. « La fibre n’est pas qu’un câble dans le sol. C’est le système circulatoire numérique de notre économie. Elle alimente les réseaux de communication, relie les entreprises au cloud, soutient les services publics numériques, et permet des innovations dans l’éducation, la santé, l’agriculture et le commerce » a-t-il expliqué.
Le DG de la GCT a aussi ajouté que le coût total des dégâts sur la fibre optique en 2023 est estimé à 9,2 millions USD, autant d’argent aurait pu servir selon lui à étendre le réseau télécom dans le pays. Le temps cumulé de rétablissement va jusqu’à 422,54 jours.
Des milliers de coupures en Afrique
Le Ghana n’est pas un cas isolé. Dans de nombreux pays africains, les coupures de fibre optique sont devenues récurrentes, exposant les vulnérabilités d’infrastructures pourtant essentielles. Le Nigeria figure parmi les plus touchés. La Commission nigériane des communications (NCC) a révélé que plus de 50 000 incidents de coupures ont été enregistrés en 2024, dont environ 30 000 liés à des travaux routiers réalisés par les autorités.
Pour 2022 et 2023 cumulés, 59 000 cas avaient déjà été signalés, ce qui a contraint les opérateurs à injecter 23 millions USD dans des réparations en 2023. En Ouganda, les opérateurs télécoms ont signalé plus de 820 actes de vandalisme sur les câbles entre 2022 et 2024. Ces incidents, associés aux vols de batteries et de carburant sur les sites télécoms, ont causé de longues interruptions de service, certaines dépassant 134 heures.
Au Cameroun, l’opérateur public historique Camtel, gestionnaire du backbone national de fibre optique, a indiqué dans son magazine du 22 février avoir subi plus de 1000 sabotages en 2024 sur l’ensemble du territoire. Un responsable de la société a précisé que « les actes de vandalisme ciblent principalement le réseau de transport. Les saboteurs visent des points stratégiques pour sectionner les câbles et perturber le réseau ».
D’autres facteurs, comme les travaux publics et les aléas climatiques, contribuent également aux coupures. En septembre 2024, l’opérateur signalait une hausse de 40% des coupures par rapport à 2023, qualifiant la situation de « préoccupante ». La dégradation se serait accentuée depuis août, avec une moyenne de deux coupures par jour.
En Côte d’Ivoire, les opérateurs déplorent également l’impact de ces incidents sur leurs services. En 2024, Orange a recensé près de 1000 coupures ayant affecté des millions de clients, provoquant des interruptions des services mobiles (2G, 3G, 4G) et fixes (Internet, Voix), parfois pendant plusieurs jours. L’opérateur évoque des travaux d’infrastructure, des actes de vandalisme ou encore des vols comme principales causes.
En Gambie, une coupure majeure de câble a été signalée le 19 mai autour de la Sénégambie par l’opérateur historique Gamtel, après qu’une coupure attribuée à la Gambia National Water & Electric Company a été signalée plus tôt en février. Depuis plusieurs années, la société fait état d’incidents réguliers, souvent causés par des projets routiers. Elle affirme avoir investi 20 millions de dalasis (environ 278 000 USD) pour restaurer les services.
Bien que ce chiffre soit en baisse par rapport aux pertes précédentes, l’impact financier reste significatif.
Des réponses multiples face à l’ampleur du phénomène
Face à ces incidents, les acteurs ghanéens du secteur multiplient les initiatives. Si les régulateurs comme la NCA, la Cybersecurity Authority ainsi que le ministère des Communications ont déjà posé des bases en matière de réglementation et d’orientation stratégique, ces efforts doivent désormais être complétés par des mesures concrètes sur le terrain.
La CGT, pour qui protéger la fibre optique est une urgence nationale, propose l’adoption d’une loi dédiée à la protection de l’infrastructure, l’obligation d’intégrer des conduites pour télécoms dans les projets routiers, la création d’unités de gestion des services publics dans les agences routières, et une politique stricte de délivrance de permis avant toute excavation. Elle plaide aussi pour une meilleure collaboration entre tous les acteurs, afin d’éviter les coupures récurrentes et coûteuses.
Le président nigérian Bola Tinubu a signé en août 2024 une ordonnance criminalisant les atteintes aux infrastructures télécoms. « Cette ordonnance rend désormais illégal le fait de causer délibérément des dommages à des actifs tels que les tours/sites télécoms, les stations de commutation, les centres de données, les infrastructures satellitaires, les câbles sous-marins et à fibre optique, les équipements de transmission, les plateformes de gouvernement électronique, les bases de données, parmi tant d’autres » a expliqué Bosun Tijani, ministre des Communications, de l’Innovation et de l’Économie numérique.
Un comité interinstitutionnel a aussi été mis en place en février par les ministères des Travaux publics et des Communications pour coordonner la protection des câbles. Il regroupe des membres de ces deux départements ainsi que de la NCC. Le comité a pour mission d’identifier les problèmes, proposer des solutions sectorielles, définir des normes d’intervention et publier des rapports mensuels.
En Gambie, le gouvernement a adopté en avril 2023 une politique de protection des infrastructures à fibre optique. La réglementation prévoit une amende minimale de 500 000 dalasis pour tout dommage causé au réseau. Gamtel collabore avec les forces de l’ordre et a instauré une prime de 50 000 dalasis pour toute personne fournissant des informations utiles menant à l’arrestation de vandales.
En Ouganda, les opérateurs ont lancé une campagne nationale de trois mois baptisée « Tokigeza ». Elle comprend des actions de sensibilisation via la radio, la télévision, les plateformes numériques, les écoles et les réunions communautaires. Des acteurs clés comme les forces de l’ordre, les autorités locales, les propriétaires fonciers et les conducteurs de moto-taxis sont mobilisés pour signaler et prévenir les actes de vandalisme. Cette initiative est issue d’un forum organisé en avril 2024. En avril 2025, le président Yoweri Museveni s’est par ailleurs engagé à classer les tours télécoms comme Infrastructures nationales critiques (CNI).
Au Cameroun, Camtel a lancé un appel public à la protection de la fibre et mène actuellement une campagne de sensibilisation des populations. Orange Côte d’Ivoire de son côté, renforce la coordination avec les autorités locales, améliore la surveillance de ses infrastructures et mène des actions de sensibilisation ciblées.
Des débuts prometteurs, mais des efforts à amplifier
Les campagnes de sensibilisation, le durcissement des sanctions et les partenariats public-privé traduisent une prise de conscience croissante de la vulnérabilité des réseaux de fibre optique en Afrique. Ces mesures marquent un début d’efforts dans la bonne direction, mais leur impact reste encore limité. En effet, elles demeurent souvent isolées, réactives et de portée modeste.
« Notre infrastructure est vulnérable et une action collective est nécessaire pour la protéger. Nous sommes tous concernés, et c’est par nos efforts conjoints que nous pourrons faire la différence » a souligné M. Ashigbey.
Dans ce contexte, le renforcement du cadre légal est crucial. Dans nombre de pays, les dispositifs juridiques de protection restent fragmentaires, et lorsqu’ils existent, leur application sur le terrain reste incertaine. Il ne suffit pas d’adopter des lois : encore faut-il assurer leur mise en œuvre rigoureuse.
Isaac K. Kassouwi
(Source : Agence Ecofin, 25 mai 2025)