Fraude numérique transnationale : Plus de 39 000 victimes et 2,5 milliards avec Sunutech
jeudi 26 juin 2025
Selon les révélations du journal Libération, l’enquête en cours sur l’arnaque de grande ampleur liée à la plateforme Sunutech continue de livrer ses secrets. Les investigations menées par la Division spéciale de la cybercriminalité (DSC), en collaboration avec les autorités aéroportuaires, ont permis de retracer les mouvements de deux figures clés de cette entreprise numérique : Xing Xiao et Lifan Hu, détenteurs des droits sociaux de Sunutech. Ces derniers ont quitté le territoire sénégalais entre le 18 et le 24 mai 2024 pour la Côte d’Ivoire. Ce déplacement coïncide avec des connexions techniques relevées à Abidjan sur l’interface d’administration de la plateforme, ce qui renforce l’hypothèse d’un pilotage opérationnel transnational, dans le cadre d’une fraude organisée à caractère structuré.
Un préjudice colossal : 2,53 milliards de FCFA, 39 846 victimes recensées
Toujours selon Libération, l’exploitation du fichier de transactions transmis par la société Connekt4 Sénégal, dans le cadre de l’enquête, a permis d’évaluer avec précision l’ampleur du préjudice. Ce relevé contient 57 921 opérations financières directement liées à Sunutech, pour un montant cumulé de 2 539 365 710 FCFA. À travers l’analyse technique de ces opérations, la DSC a pu identifier 39 846 numéros de téléphone distincts, attestant du nombre minimal de victimes impliquées dans cette fraude de masse.
Les transactions concernées ont principalement eu lieu entre octobre 2024 et mai 2025. Il est à noter qu’aucune mesure effective n’a été prise durant cette période pour signaler ces activités à la CENTIF ou pour suspendre les flux suspects. Interrogés, les responsables de Connekt4 ont admis l’absence de déclaration de soupçon dans les délais requis, invoquant une désorganisation interne et un défaut de coordination entre les services opérationnels et les cellules de conformité.
Le constat des enquêteurs, relayé par Libération, est accablant : la technologie fournie par Connekt4 Sénégal a servi de levier clé permettant aux organisateurs de la fraude d’opérer en toute discrétion. La plateforme leur a donné la possibilité d’effectuer des transferts directs de fonds vers des comptes Wave et Orange Money, échappant ainsi aux circuits de surveillance bancaires traditionnels. Ces flux financiers ont donc été soustraits aux mécanismes de contrôle réglementaire relatifs à la lutte contre le blanchiment de capitaux.
Pire encore, l’infrastructure mise à disposition par Connekt4 a permis une gestion opaque des fonds collectés : virements instantanés, décaissements en espèces, absence d’authentification des bénéficiaires finaux, et traçabilité quasi nulle. Les paiements effectués dans le cadre des offres « P1 à P10 » de la plateforme SEYP, basées sur le visionnage rémunéré de vidéos, ont constitué la couverture parfaite d’un système pyramidal exploitant l’espoir de gains fictifs.
Le rôle trouble de Connekt4 Sénégal et les révélations sur Babaly Ly
L’enquête judiciaire éclabousse également les responsables de Connekt4 Sénégal, dont Jean Paul Ghislain Louis Perrotte et Mme Marjan Céline Katouzlan, tous deux actuellement en fuite, ainsi que d’autres cadres de la cellule conformité. Les auditions mettent en lumière une complicité technique active, et un manque flagrant de contrôle interne qui a facilité l’expansion de cette escroquerie.
Un autre acteur clé, Babaly Ly, responsable portefeuille Business à Orabank – Agence des Parcelles Assainies, a joué un rôle déterminant dans la jouissance et la dissimulation des fonds frauduleux. Selon Libération, les enquêteurs ont mis à jour un schéma structuré d’instrumentalisation de comptes bancaires et mobiles — personnels ou appartenant à des proches — pour recevoir, masquer et redistribuer les produits de la fraude, notamment sous forme de cryptomonnaies, en particulier du USDT.
Les éléments matériels recueillis, notamment relevés bancaires, transactions mobiles et données téléphoniques, confirment que Babaly Ly a coordiné un véritable réseau de dissémination, impliquant ses propres proches. Ses opérations consistaient à retirer des fonds sur ses comptes ou ceux de ses relais, à réinjecter l’argent sous forme liquide ou via de nouveaux transferts numériques, en dehors de tout cadre légal.
Un système bien huilé, un contournement flagrant des dispositifs anti-blanchiment
Toujours selon Libération, l’ampleur du circuit mis en place est évaluée à plus de 70 millions de FCFA, à ce stade de l’enquête. Babaly Ly, en s’appuyant sur son expertise bancaire, a su exploiter les failles du système de vigilance, facilitant ainsi la transformation d’actifs numériques opaques en liquidités utilisables localement, sans alerter les dispositifs institutionnels. Trois membres de sa famille ont reconnu avoir mis à sa disposition leurs comptes bancaires et numéros de téléphone, parfois sans être pleinement conscients des implications, mais dans un schéma manifestement orchestré pour diluer et dissimuler les flux illicites.
Ce système a permis aux organisateurs de recycler les fonds issus de la fraude, de les transformer en espèces ou en cryptomonnaies, et de les détourner totalement des radars réglementaires, malgré plusieurs signaux internes convergents d’activités atypiques.
(Source : Senenews, 26 juin 2025)