Fracture numérique et déficit de compétences : l’autre défi du Mali connecté
mardi 24 juin 2025
Alors que le Mali s’apprête à bénéficier d’un programme de modernisation des télécommunications porté par Maroc Telecom et la SFI, l’enjeu principal sera de transformer cette avancée technique en levier de développement humain inclusif.
La semaine dernière, Maroc Telecom (IAM) a conclu un accord de prêt de 370 millions d’euros (429,4 millions USD) avec la Société financière internationale (SFI) pour accélérer le déploiement des services 4G dans deux pays africains, dont le Mali. L’objectif affiché est triple : améliorer la qualité de l’Internet mobile, étendre la couverture réseau et réduire la fracture numérique, notamment en zone rurale.
Cette initiative survient alors que, selon DataReportal, le taux de pénétration d’Internet au Mali atteint 35,1 % en mars 2025. Un chiffre proche de la moyenne régionale (40 %), mais qui ne reflète pas l’ensemble du défi à relever. Car si la connectivité progresse, le manque de compétences pour l’exploiter pleinement risque de priver la majorité des Maliens de ses bénéfices.
Aujourd’hui, le système éducatif malien demeure peu préparé aux métiers du numérique. Le rapport « Évaluation nationale de l’écosystème numérique », publié en 2023 par Digital Development, souligne que les professionnels des TIC formés localement dans les instituts techniques ou les universités ne sont généralement pas prêts à intégrer le marché. Les centres de formation restent peu nombreux, concentrés dans les grandes villes, et souvent sous-équipés. Les programmes, quant à eux, peinent à suivre le rythme d’évolution du secteur, laissant les entreprises locales face à une pénurie de profils qualifiés.
Des initiatives existent, comme les Orange Digital Centers ou certains partenariats avec des ONG spécialisées, pour contribuer à combler ce déficit. Mais ces efforts restent limités face à la demande croissante en techniciens réseau, développeurs, spécialistes en cybersécurité ou analystes de données.
Former davantage pour transformer durablement
Améliorer l’accès au réseau est un progrès indéniable. Mais sans une montée en compétences, ce développement risque d’accentuer les inégalités. Les jeunes urbains déjà formés profiteront des opportunités du numérique, tandis que les autres, majoritaires, resteront à l’écart d’un marché du travail en profonde mutation.
Dans un pays où le chômage des 18–25 ans atteint 28 % en 2024, selon Afrobarometer, et où les tensions sociales persistent, il est crucial de réussir le virage numérique. D’autant plus qu’à l’horizon 2030, plus de 230 millions d’emplois en Afrique subsaharienne exigeront des compétences numériques, selon la SFI, représentant 130 milliards USD d’opportunités de formation.
Investir dans les infrastructures reste essentiel. Mais cela ne suffira pas. Il faut en parallèle bâtir une véritable stratégie nationale de développement des compétences numériques : formation initiale, reconversion professionnelle, apprentissage en ligne, certification, etc. Pour que la transformation digitale en cours devienne une réalité inclusive, elle devrait s’ancrer dans une réforme en profondeur du système éducatif. Cela implique une coordination étroite entre les opérateurs télécoms, les ministères de l’Éducation et les acteurs du marché du travail.
Félicien Houindo Lokossou
(Source : Agence Ecofin, 24 juin 2025)