L’article relayé ce 7 octobre 2025 par Seneweb, intitulé « Ingérence étrangère : Facebook a indirectement contribué à la réélection de Macky Sall en 2019 », s’inscrit dans une dynamique discursive qui mérite d’être interrogée avec rigueur. L’affirmation centrale, formulée sans support technico-statistique, relève d’une allégation gratuite. Et c’est précisément cette vacuité méthodologique qui l’expose à une interprétation légitime comme relevant d’une tendance vindicative, voire manipulatrice.
L’accusation portée contre Facebook repose sur une formulation suggestive ( « indirectement contribué ») qui, faute de données probantes, glisse du champ de l’analyse vers celui de la mise en scène. Aucun audit algorithmique, aucune cartographie des flux informationnels, aucune analyse comparative des récits amplifiés n’est proposée. La confusion entre plateforme et intention est manifeste : Facebook, en tant qu’infrastructure technique, ne saurait être tenu pour acteur politique sans une démonstration rigoureuse des usages, des financements, et des modérations opérées. En outre, le silence sur les opérateurs locaux (agences de communication, cabinets de stratégie numérique, influenceurs nationaux) révèle un angle mort analytique. L’absence de contextualisation des dynamiques internes affaiblit la portée de l’article et le rend vulnérable à une lecture instrumentalisée.
Admettons, pour les besoins de l’analyse, que les réseaux sociaux aient « joué en faveur » du Président Macky Sall en 2019. Il convient alors de poser la question inverse : pour qui n’ont-ils pas joué par la suite ? Car les mêmes plateformes ont servi de vecteurs puissants pour la montée en puissance de l’opposition, notamment du parti PASTEF. Ce paradoxe est celui du doigt accusateur : un index pointé vers un prétendu bénéficiaire, tandis que trois autres doigts désignent silencieusement la source accusatrice elle-même. Les campagnes virales de 2023–2024 ont largement profité des algorithmes pour installer une narration de rupture, de délivrance, et de sacralisation de l’alternance. Les figures de l’opposition ont vu leur visibilité décuplée, souvent sans contrepoids critique, dans une dynamique de messianisation algorithmique. Les récits de victimisation ont été amplifiés, parfois au détriment de la complexité des faits, dans une logique de polarisation émotionnelle. Ce phénomène a été observé dans plusieurs contextes africains, comme le montre l’étude de N. Sylla sur les usages politiques des réseaux sociaux dans les campagnes électorales (Revue Africaine des Médias, 2024).
L’accusation d’ingérence s’inscrit dans une dramaturgie plus vaste : celle d’une diabolisation orchestrée, où le Président Macky Sall devient le réceptacle de toutes les projections négatives. Cette stratégie, amorcée bien avant 2024, s’est intensifiée à mesure que PASTEF consolidait son emprise narrative. La narration du président comme obstacle à la jeunesse, l’amplification algorithmique ciblée, l’effacement des acquis, la réécriture de la temporalité et la sacralisation de l’alternance ont constitué les ressorts principaux de cette fabrique du soupçon. Ces mécanismes ont été décrits par A. Diagne dans son analyse des récits de rupture en Afrique francophone (Politique et Narration, 2023), où il montre comment l’opposition construit des figures de délivrance en miroir des figures diabolisées.
Il serait naïf de lire l’article relayé par Seneweb comme une simple contribution au débat démocratique. Il s’inscrit dans une tendance rédactionnelle préoccupante au Sénégal : celle de la production d’articles boucan, c’est-à-dire de textes bruyants, sensationnalistes, mais dépourvus de fondement analytique. Ces productions, souvent rédigées sans rigueur méthodologique, ne résistent à aucune épreuve critique. Elles relèvent moins du journalisme que de la dramaturgie du soupçon. Mais peut-on réellement attendre autre chose dans un contexte où la rumeur devient flagrant délit, où le délit devient le fruit d’un simple complot politique à tendance assassine, et où la parole publique est instrumentalisée non pour éclairer mais pour polariser ? Cette dérive n’est pas seulement médiatique. Elle est symptomatique d’un effritement du pacte épistémique : celui qui lie le citoyen à la vérité, le journaliste à la rigueur, et le politique à la responsabilité. Lorsque ce pacte se rompt, le récit devient arme, et l’article devient projectile. Comme le souligne M. Mbaye dans Éthique et Responsabilité dans les Médias Africains (Presses de Dakar, 2022), « la parole journalistique, lorsqu’elle se délie de la preuve, devient un instrument de guerre symbolique ».
Il ne s’agit pas ici de nier les tensions, les critiques, ni les responsabilités du pouvoir. Il s’agit de refuser l’effacement, de restaurer la complexité, et de rappeler que toute démocratie repose sur une mémoire équitable. Accuser sans démontrer, amplifier sans contextualiser, diaboliser sans nuance : telles sont les dérives que cette mise au point cherche à corriger.
Waly Latsouck Faye, Ingénieur informaticien
Ancien Informaticien de la CENA
(Source : Groupe WhatsApp du RASA, 9 octobre 2025)