Essor de l’e-santé en Afrique : entre opportunités d’emploi et défis à surmonter
mardi 3 juin 2025
Portée par la montée en puissance du numérique et la nécessité de pallier les insuffisances des systèmes de santé, l’e-santé prend de l’ampleur en Afrique. Un secteur dynamique, dopé par les investissements et les besoins sociaux, qui ouvre de nouveaux horizons professionnels pour les jeunes diplômés. Entre santé et technologie, une nouvelle économie de compétences est en train d’émerger.
En Afrique, la combinaison entre la poussée du numérique et les besoins critiques d’accès aux soins fait de l’e-santé un secteur stratégique. La healthtech, qui regroupe les innovations numériques appliquées à la santé et les entreprises spécialisées du secteur, a attiré plus d’un milliard de dollars d’investissements sur le continent en cinq ans, selon les données de l’Agence Ecofin. De 18 millions USD en 2018, les financements ont atteint 189 millions en 2019, culminant à 230 millions USD en 2021. Cette dynamique traduit l’engouement pour un secteur innovant où les opportunités de croissance et d’emploi sont réelles.
Les plateformes healthtech se multiplient
De nombreuses plateformes d’e-santé émergent sur le continent, portées par des besoins croissants en accès aux soins et par l’essor du numérique. À ce jour, on recense plusieurs centaines de solutions actives, allant de la téléconsultation à la gestion de données médicales. En Afrique de l’Ouest, plusieurs entreprises technologiques transforment l’accès aux services de santé en misant sur le numérique.
Au Ghana, mPharma a développé une solution qui permet aux pharmacies de mieux gérer leurs stocks et d’approvisionner leurs patients en médicaments à des prix réduits, grâce à un système centralisé d’achat et de distribution.
Au Nigeria, Helium Health a mis en place une plateforme numérique de gestion hospitalière, qui permet aux établissements de santé de numériser les dossiers médicaux, mais aussi aux patients de consulter en ligne les praticiens disponibles et de prendre rendez-vous à distance.
Au Sénégal, SenConsult propose des consultations médicales en ligne avec des médecins qualifiés, permettant aux patients de recevoir des soins sans se déplacer, ce qui est particulièrement bénéfique pour ceux vivant dans des zones éloignées.
De leur côté, les gouvernements, appuyés par la Banque mondiale ou l’OMS, intègrent progressivement l’e-santé dans leurs politiques publiques à travers la digitalisation des registres médicaux ou la formation en ligne des agents de santé.
De nouveaux métiers à la croisée de la santé et du numérique
Le secteur de la healthtech, en pleine croissance, façonne une nouvelle génération de métiers hybrides, alliant expertise technologique et savoir médical, afin de répondre aux défis de l’e-santé.
– Le data analyst santé collecte, nettoie et analyse des données issues de systèmes numériques pour optimiser la prise de décision en matière de santé publique ou de traitement.
– Le développeur d’applications e-santé, quant à lui, conçoit des interfaces adaptées aux contextes africains, notamment la faible bande passante, la multiplicité linguistique et les pathologies spécifiques.
– La cybersécurité médicale devient aussi un enjeu majeur : la protection des données de santé étant sensible, les hôpitaux et les plateformes recherchent activement des spécialistes capables de sécuriser les infrastructures numériques.
– Un autre profil recherché est le coordinateur de projets e-santé qui fait le lien entre les équipes médicales, les développeurs, les financeurs et les utilisateurs finaux pour assurer la bonne mise en œuvre des projets.
Un besoin urgent de nouvelles compétences
« Les emplois du futur nécessitent des compétences du futur », rappelait Akinwumi Adesina, ex-président de la Banque africaine de développement, en mai 2021, alors qu’il s’exprimait sur l’avenir du travail au Nobel Prize Dialogue, un événement organisé par l’Université de Pretoria. Cette déclaration souligne l’urgence de réformer l’offre de formation en Afrique pour répondre aux nouvelles exigences du marché du travail.
L’e-santé en Afrique offre de réelles perspectives, mais son essor reste freiné par plusieurs obstacles majeurs. Le principal défi réside dans la pénurie de profils qualifiés, en particulier à l’interface entre la santé et les technologies numériques. Très peu de cursus universitaires proposent aujourd’hui des formations hybrides adaptées à ces nouveaux besoins du marché.
Selon le Boston Consulting Group, seulement 11 % des diplômés de l’enseignement supérieur en Afrique ont reçu une formation formelle en compétences numériques. De plus, l’Afrique compte 12 des 20 pays ayant les niveaux de compétences numériques les plus faibles au monde, avec des scores compris entre 1,8 et 5 sur l’indice de l’écart des compétences numériques, bien en dessous de la moyenne mondiale de 6.
À l’échelle du continent, environ 75 % des jeunes ne possèdent pas les compétences nécessaires pour participer pleinement aux économies de plus en plus numérisées de l’Afrique, d’après l’UNICEF. Au Nigeria, plus de 100 millions de jeunes manquent des compétences numériques essentielles pour accéder à des emplois rémunérateurs, selon une enquête menée par GetBundi. Cette lacune est attribuée à des programmes éducatifs obsolètes et à un accès limité aux infrastructures numériques.
Une responsabilité partagée entre public et privé
Pour y remédier, plusieurs initiatives émergent. Le programme i3 Africa (Investing in Innovation), soutenu par la Fondation Gates et le secteur privé, accompagne des startups africaines de santé digitale, souvent portées par de jeunes innovateurs. Des ONG comme PATH soutiennent également la formation de terrain, prêtent du matériel ou mettent en place du mentorat.
Les gouvernements ont un rôle déterminant à jouer pour structurer le secteur du healthtech. Au-delà du soutien aux startups, des initiatives émergent pour adapter les formations, renforcer les infrastructures numériques de santé publique, et créer des cadres réglementaires clairs.
Le Diplôme Inter-Universitaire en e-Santé, lancé en 2019 et porté par les universités de Bamako, Abidjan, Dakar et Lomé, vise à former des professionnels capables de concevoir et de mettre en œuvre des solutions numériques adaptées aux systèmes de santé africains. Cette formation hybride, soutenue par la Fondation Pierre Fabre, a déjà diplômé plus de 160 participants issus de 14 pays du continent.
Au Rwanda, l’IRCAD Africa, inauguré en octobre 2023, forme des médecins africains à la chirurgie mini-invasive. Ce centre, soutenu par le gouvernement rwandais et des partenaires privés, a déjà formé 300 professionnels de 27 pays africains, contribuant ainsi à l’amélioration des compétences chirurgicales sur le continent.
En outre, le Youth in Digital Health Network (YiDHN), lancé par Africa CDC en collaboration avec la GIZ et l’Union africaine, vise à renforcer l’engagement des jeunes dans le domaine de la santé numérique. Ce réseau offre des opportunités de formation, de mentorat et de financement pour les jeunes innovateurs, contribuant ainsi à la transformation numérique des systèmes de santé africains.
Exploiter pleinement le potentiel
L’essor de l’e-santé en Afrique subsaharienne offre un vivier prometteur d’emplois pour une jeunesse confrontée à un chômage endémique, qui touche près d’un jeune sur cinq, selon la Banque mondiale. Pour que ces perspectives se traduisent en véritables leviers pour résoudre la question du chômage des jeunes, une synergie plus étroite entre les gouvernements et le secteur privé est essentielle. Elle permettrait d’anticiper les besoins en compétences et d’ajuster l’offre de formation aux réalités du marché.
Cependant, la fracture numérique reste un obstacle majeur. En 2024, seuls 38 % des Africains avaient accès à Internet, d’après l’Union internationale des télécommunications. Cette inégalité d’accès compromet l’adoption à grande échelle des solutions numériques de santé, notamment en milieu rural, et limite les effets positifs attendus sur les systèmes de soins. Sans un investissement ciblé pour renforcer la connectivité, les avancées de l’e-santé risquent de creuser davantage les écarts existants.
Félicien Houindo Lokossou
(Source : Agence Ecofin, 3 juin 2025)