L’arrivée de Brelotte Ba à la tête de l’opérateur télécom intervient sur fond de revendications syndicales et de tensions entre Dakar et Orange. Un test grandeur nature pour la politique de numérique de Bassirou Diomaye Faye.
Le groupe français Orange a nommé jeudi 24 juillet Brelotte Ba au poste de directeur général de Sonatel, premier opérateur de télécommunications au Sénégal. Cette nomination, qui prendra effet le 1er août prochain, intervient dans un climat de tensions entre les autorités sénégalaises et l’actionnaire majoritaire français, rapporte Jeune Afrique.
Diplômé de l’École polytechnique de Paris et de l’École nationale des ponts et chaussées, Brelotte Ba était jusqu’ici directeur général adjoint de la branche Afrique et Moyen-Orient d’Orange. Ce vétéran du groupe français, qui a dirigé les filiales d’Orange au Mali, au Niger, en Guinée et en Guinée-Bissau, succède à son compatriote Sékou Dramé, en poste depuis sept ans à la tête de Sonatel.
Selon les informations de Jeune Afrique, « l’arrivée aux commandes » de Brelotte Ba « a déjà fait l’objet de discussions entre l’état-major du géant tricolore des télécoms et la présidence sénégalaise ». Le choix a été « validé par Dakar pour éviter tout passage en force », précise le média panafricain.
La nomination intervient alors que l’intersyndicale de Sonatel multiplie les revendications sur « un rééquilibrage de la gouvernance entre l’État et Orange au sein de Sonatel », des demandes qui perdurent « depuis une quinzaine d’années », selon JA.
Le Premier ministre Ousmane Sonko, qui a reçu une délégation syndicale le 21 juillet, s’est engagé à « défendre les intérêts stratégiques du Sénégal, piliers indispensables de [sa] souveraineté économique ». Cette prise de position intervient dans un contexte de tensions politiques à Dakar, où s’opposent le Premier ministre et le président Bassirou Diomaye Faye « sur divers sujets ».
Mouhamadou Lamine Badji, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de Sonatel, a expliqué à Jeune Afrique les motivations de cette mobilisation : « Nous ne nous occupons pas des personnes, et n’avons pas l’intention de dicter la conduite d’Orange. Mais c’est la conduite d’Orange qui nous force à interpeler les autorités pour qu’elles rappellent à l’actionnaire minoritaire que l’objectif de ce partenariat n’est pas de faire de Sonatel une filiale d’Orange. »
Avec une participation de 42% au capital de Sonatel, Orange occupe la position d’actionnaire principal, devant l’État sénégalais (24%), les investisseurs institutionnels et privés (23%) et les employés de l’entreprise (8%). Au sein du conseil d’administration, le groupe français dispose de cinq sièges sur dix, contre trois pour l’État du Sénégal.
Les syndicats dénoncent notamment les « entraves internes à la croissance externe de l’entreprise », la « composition déséquilibrée du Conseil d’administration » et « l’influence notable du partenaire stratégique minoritaire dans la gouvernance », rapporte le magazine panafricain.
Des défis stratégiques multiples
Au-delà des tensions politiques, Brelotte Ba hérite de plusieurs dossiers complexes. Malgré des résultats financiers positifs - un chiffre d’affaires de 1 776 milliards de F CFA en 2024 (environ 2,7 milliards d’euros) en croissance de 9% - l’opérateur fait face à des défis de taille.
Le segment mobile money connaît des difficultés particulières. Après avoir bénéficié « de la chute des services historiques comme Wari ou Money Express », Orange Money « a vu ses profits s’amoindrir avec l’arrivée de Wave et de ses offres agressives », note Jeune Afrique.
L’agence de notation GCR Ratings a d’ailleurs dégradé la note de Sonatel en juin dernier, évoquant « une pression sur ses flux de trésorerie » résultant notamment de « la hausse des investissements » et « l’augmentation substantielle des décaissements de dividendes en 2024 ».
La domination de Sonatel sur le marché sénégalais des télécoms (environ 60% en nombre d’abonnés) continue de susciter des critiques. Cette position lui permettrait « de pratiquer des prix hauts et de maintenir sa rentabilité », le bénéfice avant impôts et taxes représentant 47,2% des revenus pour 2024.
Un observateur du secteur, cité par Jeune Afrique, tempère cependant les critiques : « L’impact de WhatsApp et d’autres applications de discussion sur le business s’est vraiment fait sentir pendant le mandat de Sékou Dramé. Il a vu la concurrence de Free (aujourd’hui Yas, propriété du groupe Axian) devenir plus sérieuse et, pendant ce temps, le régulateur s’est vraiment amélioré. »
Face à ces enjeux, Orange affirme sa volonté de dialogue. « En tant qu’actionnaire de référence, nous faisons confiance à la gouvernance actuelle de l’entreprise pour assurer un dialogue apaisé et constructif avec l’ensemble des parties prenantes », a déclaré un porte-parole du groupe à Jeune Afrique.
La nomination de Brelotte Ba constitue ainsi un test pour les relations entre Orange et les nouvelles autorités sénégalaises, dans un contexte où « les secteurs des hydrocarbures, des médias ou encore des mines font l’objet de renégociations des contrats et partenariats ».
(Source : SenePlus, 24 juillet 2025)