Entre ambitions et réalités numériques, la Mauritanie tente de structurer son e - commerce
mardi 24 juin 2025
La Mauritanie veut structurer son e-commerce, mais entre connectivité inégale, paiements majoritairement en cash et logistique déficiente, le chantier est vaste.
La Mauritanie entame une nouvelle phase de sa transition numérique avec l’élaboration d’une stratégie nationale de commerce électronique. Lancée par le ministère de la Transformation numérique, avec l’appui technique de la GIZ, cette initiative vise à structurer un secteur encore embryonnaire mais à fort potentiel. La taille du marché africain de commerce électronique pourrait doubler d’ici 2029, selon TechCabal Insights. Dans un rapport publié en octobre 2024, le cabinet de conseil en économie numérique prévoit une croissance de 105 %, avec un marché passant de 55 à 112,73 milliards de dollars. La Mauritanie pourrait jouer un rôle dans cette dynamique.
Le secrétaire général du ministère a souligné que cette stratégie inclura toutes les activités commerciales dans le cycle économique national. Mais derrière cette grande ambition gouvernementale de régulation pour faire du secteur une source de richesse, les données de terrain expriment également l’urgence d’agir sur l’écosystème technique propice à un développement économique viable du secteur.
Un accès numérique en progrès, mais encore inégal
La connectivité Internet est le socle de tout développement du commerce en ligne. En 2024, environ 44,4 % de la population mauritanienne (près de 2,2 millions d’utilisateurs) a un accès régulier à Internet, un chiffre supérieur à la moyenne africaine (38 %) mais inférieur à la moyenne mondiale (68 %), selon l’Union internationale des télécommunications (UIT). La couverture est principalement concentrée dans les zones urbaines (Nouakchott et Nouadhibou), où la 3G reste dominante (43,9 % contre 34,7 % pour la 4G). En milieu rural, les difficultés d’accès au réseau mobile et le coût élevé de la data limitent la pénétration numérique.
Le coût d’un forfait internet mobile d’entrée de gamme dans le pays est estimé à 8,6 % du RNB mensuel par habitant, et celui d’un forfait fixe à 19,2 % du RNB. Ces prix sont nettement supérieurs aux moyennes africaines (3,9 % du RNB pour le mobile et 13,4 % pour le fixe), restreignant le potentiel de clientèle pour le e-commerce.
La qualité des services télécoms constitue également un défi, comme en témoigne la nouvelle sanction contre les opérateurs Mauritel, Mattel et Chinguitel pour non-respect des niveaux de performance réseau exigés par le régulateur télécoms en novembre 2024.
Paiements électroniques : la prédominance du cash
Un autre obstacle majeur est la faible bancarisation. Le rapport de la CNUCED de mars 2024, « Mauritanie : Evaluation de l’état de préparation au commerce électronique », indique que « l’inclusion financière reste faible en Mauritanie (20,9%) surtout pour les femmes (15,5%) et les jeunes (13,1%) ». Bien que la digitalisation des paiements progresse via les services de paiement mobile, l’utilisation des cartes bancaires reste limitée en raison du faible déploiement des terminaux de paiement électronique (TPE) chez les commerçants, poursuit le document.
L’étude de la CNUCED a confirmé que les paiements à la livraison prédominent (83,8 %) dans le e-commerce mauritanien. Ce modèle est coûteux, peu sécurisé et rend difficile la collecte de statistiques financières fiables sur le secteur.
La domination des réseaux sociaux
En l’absence de plateformes locales structurées, la majorité des échanges commerciaux en ligne s’effectue via les réseaux sociaux (Facebook Marketplace, WhatsApp, TikTok). Ces canaux informels séduisent les clients parmi les 1,5 million d’utilisateurs de réseaux sociaux recensés en février 2025 (Digital Report). Toutefois, les réseaux sociaux posent des problèmes en matière de traçabilité, de service après-vente et de protection des consommateurs, qui contribuent à décrédibiliser l’e-commerce et à freiner son adoption. L’absence de base de données nationale sur les entreprises en ligne complique également toute planification stratégique.
Les enjeux logistiques
La logistique représente un autre maillon faible. La CNUCED souligne que « la qualité des services logistiques et de la livraison du dernier kilomètre constitue une réelle entrave au développement du commerce électronique en Mauritanie. Cette situation est aggravée par l’absence d’un système d’adressage physique fiable et d’une infrastructure postale solide et digitalisée (répertoire d’adresses et de codes postaux, etc.) qui ne facilite pas l’acheminement des colis jusqu’au domicile du destinataire. Les colis sont souvent livrés dans les bureaux de poste ». Les services de livraison doivent s’appuyer souvent sur des indications orales ou des points de repère, ce qui a favorisé l’émergence de réseaux informels de livreurs à moto. Toutefois, ces derniers risquent de ne pas être viables en cas de développement à grande échelle du e-commerce. Les coûts élevés, les retards fréquents et le manque de suivi affectent la fiabilité et dissuadent les consommateurs.
Comparée à des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, la Mauritanie accuse un retard dans le développement de son écosystème numérique. Néanmoins, la marge de progression est significative si les investissements sont bien ciblés. Bien qu’une stratégie nationale du commerce électronique soit prometteuse pour les revenus fiscaux de l’État, la création de richesses et l’emploi, elle seule ne suffit pas à transformer le secteur en un écosystème dynamique et inclusif.
Muriel Edjo
(Source : Agence Ecofin, 24 juin 2025)