Blockchain en Afrique : un potentiel sous-exploité face aux défis de la gouvernance
mercredi 16 juillet 2025
Perçue comme une solution à la corruption et à l’opacité administrative, la blockchain séduit de plus en plus d’États africains. Mais son déploiement reste entravé par des défis juridiques, techniques et humains qui ralentissent son intégration dans les politiques publiques.
Technologie de registre distribué, infalsifiable et décentralisé, la blockchain permet d’enregistrer des données de manière transparente, sécurisée et immuable. Si elle est souvent associée aux cryptomonnaies, ses cas d’usage dépassent désormais le seul champ financier. Plusieurs gouvernements y voient un levier pour améliorer la gouvernance, renforcer la transparence des services publics et rétablir la confiance entre l’État et les citoyens.
Dans un contexte où les administrations africaines sont encore marquées par des lourdeurs bureaucratiques, et où la fraude documentaire, les litiges fonciers ou l’opacité électorale minent les institutions, la blockchain apparaît comme une technologie susceptible de transformer en profondeur la gestion publique.
Des usages concrets au service de la gouvernance
La gestion foncière est l’un des domaines où la blockchain démontre tout son potentiel. Dans de nombreux pays africains, les registres fonciers sont manuels, fragmentés et vulnérables à la falsification, ce qui freine les investissements et favorise les conflits. En enregistrant les transactions de manière infalsifiable et horodatée, la blockchain sécurise les titres de propriété et renforce la transparence.
Le Ghana s’est illustré comme pionnier sur le continent avec l’expérimentation menée par la start-up Bitland dès 2016, qui a permis de numériser des titres fonciers sur blockchain dans certaines localités, facilitant ainsi la preuve de propriété et l’accès au crédit.
Dans le domaine électoral, la Sierra Leone s’est démarquée en 2018 en devenant le premier pays au monde à utiliser la blockchain pour certifier des résultats électoraux. Bien que limitée à un district lors d’une élection présidentielle, cette initiative a permis d’expérimenter un système de comptage des voix plus transparent et sécurisé, évitant les manipulations habituelles des procès-verbaux et renforçant la confiance dans le processus électoral. D’autres pays comme le Nigeria ou le Kenya envisagent des dispositifs similaires pour fiabiliser l’enregistrement des électeurs ou améliorer la logistique des scrutins.
La blockchain est aussi mobilisée pour améliorer la transparence budgétaire. En Ouganda, le projet « BE Transparent » a permis de suivre les transferts de fonds destinés aux écoles publiques, chaque étape étant enregistrée sur un registre distribué, limitant ainsi les risques de détournement. Des réflexions similaires émergent pour tracer les subventions agricoles, les aides sociales ou les achats publics.
Une réponse à l’exclusion administrative
La création d’identités numériques constitue un autre champ d’application stratégique. Dans des pays où des millions de personnes n’ont ni acte de naissance ni pièce d’identité officielle, la blockchain offre une solution innovante pour créer des identifiants numériques fiables, portables et souverains. En 2017, l’Afrique concentrait plus de 500 millions de personnes dépourvues d’identité légale, soit plus de la moitié du milliard d’individus concernés dans le monde, selon la Banque mondiale.
Cette invisibilité administrative prive ces populations d’un accès aux services essentiels comme la santé, l’éducation, la protection sociale ou la finance. En intégrant des technologies de registre distribué, des solutions basées sur la blockchain permettent non seulement d’assurer l’authenticité et la traçabilité des identités, mais aussi de renforcer la confiance entre l’État et les citoyens, tout en luttant contre la fraude et l’usurpation.
Un potentiel encore sous-exploité
Malgré ce potentiel transformateur, l’adoption de la blockchain en Afrique reste limitée à des projets pilotes ou à des initiatives isolées. Selon un rapport de Crypto Valley Venture Capital (CV VC), en partenariat avec la banque Absa, publié le 8 juillet 2024, les start-up africaines opérant dans les domaines de la blockchain ont levé 122,5 millions de dollars en 2024, en baisse de 36 % par rapport à 2023 et bien loin du pic de 474 millions de dollars atteint en 2022.
Le continent n’a ainsi représenté qu’environ 1 % des 12,1 milliards de dollars de financements captés par l’industrie de la blockchain à l’échelle mondiale l’an passé. L’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya concentrent à eux seuls plus de 80 % des start-up blockchain africaines, majoritairement tournées vers la fintech ou les cryptomonnaies. L’usage de cette technologie au service de la gouvernance publique reste encore embryonnaire, entravé par une série de contraintes structurelles et institutionnelles.
Le marché mondial de la blockchain, lui, montre des signes de forte expansion. Selon une étude de Fortune Business Insights, il était évalué à 20,16 milliards USD en 2024, devrait atteindre 31,18 milliards USD en 2025 et grimper à 393,42 milliards USD d’ici 2032, avec un taux de croissance annuel moyen (TCAC) estimé à 43,6 %. L’Amérique du Nord domine actuellement le marché avec une part de 43,65 % en 2024.
Des défis à surmonter
Parmi les principaux freins au développement figure d’abord le manque d’infrastructures numériques. Une grande partie des zones rurales africaines ne disposent pas d’une couverture Internet fiable, ce qui limite la mise en œuvre de solutions décentralisées. À cela s’ajoutent le manque de compétences techniques, l’absence de cadres réglementaires adaptés et une méfiance institutionnelle vis-à-vis d’une technologie encore perçue comme complexe, voire incontrôlable.
La standardisation des solutions constitue également un enjeu. Beaucoup de projets blockchain sont développés sur des plateformes propriétaires ou non interopérables, ce qui complique leur intégration dans les systèmes administratifs existants. Enfin, le coût initial élevé de mise en œuvre peut décourager les gouvernements, surtout dans des contextes de forte pression budgétaire.
Samira Njoya
(Source : Agence Ecofin, 16 juillet 2025)