L’art numérique africain en question : Confrontation de deux générations d’artistes
vendredi 12 mai 2006
Digitart, art numérique, netart,... autant de termes au sens énigmatique pour les artistes de la vieille garde, que la relève manie avec la plus grande facilité. La conférence organisée, hier, après-midi, au Pen’Art Jazz, par l’association Gaw Lab, a eu le mérite de prouver que la fracture numérique entre générations n’est pas un vain mot.
Le peintre sénégalais Amadou Sow, artiste de cinquante-cinq ans à la longue et brillante carrière, diplômé de l’Ecole des Beaux Arts du Sénégal et de l’Académie des Beaux Arts de Vienne, en Autriche, fait face à un jeune artiste sénégalais au talent prometteur, Samba Fall, peintre bidouilleur sur le Net.
L’enjeu de la confrontation est la pertinence d’un art numérique africain. En effet, plusieurs voix s’élèvent pour critiquer les œuvres d’art numériques africaines. Certains jugent cette technologie inadaptée aux réalités africaines. D’autres estiment que l’utilisation du numérique par les artistes africains correspond à un comportement avilissant de mimétisme des créations occidentales, qu’expliquerait un complexe d’infériorité. Deux sujets problématiques, auxquels Amadou Sow et Samba Fall répondent d’une seule voix.
Bien que ce ne soit pas le cas pour l’ensemble des pays du continent africain, le Sénégal dispose d’un accès au net performant, comparable à celui offert en Occident. Le Sénégal est suffisamment outillé pour devenir le centre névralgique de l’art numérique dans la Sous-région, si ce n’est plus, estime Sylviane Diop, membre de l’association.
Reste le délicat sujet d’une éventuelle imitation dégradante de l’art occidental. Une idée catégoriquement réfutée par Samba Fall, diplômé de l’Ecole nationale des arts du Sénégal et de la structure Pictune, spécialisée dans les dessins animés. Les artistes africains se sont appropriés l’art numérique. Samba Fall, peintre et dessinateur de dessins animés, réalise des installations où les projections vidéo sont centrales. Il utilise également l’informatique pour réaliser des œuvres consultables sur la toile. « Quand je crée des œuvres sur mon ordinateur, je ne me dis pas que je fais de l’art numérique. Pour moi, c’est de l’art tout court. L’informatique n’est qu’un outil supplémentaire qui m’offre une plus grande liberté de création », explique le jeune artiste.
Des propos appuyés par Amadou Sow : « Le numérique n’est qu’un outil d’articulation, entre l’idée et son expression subite », martèle-t-il. Cet artiste l’a d’ailleurs utilisé pour réaliser un film destiné à présenter une série de quatre-vingt trois peintures miniatures, difficilement appréciables à l’œil nu.
Mais, alors que Amadou Sow ne parle que de contact physique avec la matière, de gestes, d’exploitation de la surface de la toile, de permanence dans l’exécution des tableaux... Samba Fall répond en évoquant la rapidité de diffusion, l’accessibilité du grand public à ses œuvres, la prédominance de l’idée sur l’outil... Un dialogue de sourd, imputable sans aucun doute à une facture numérique entre les générations.
Emmanuelle LOVAT
(Source : Le Quotidien, 12 mai 2006)