Édition en Afrique subsaharienne et Internationalisation : La nouvelle donne des TIC peut-elle constituer une porte de sortie de crise ?
vendredi 9 avril 2004
L’édition se porte mal en Afrique. Les maux ont pour nom : étroitesse et
morcellement linguistique du marché, perte du goût pour la lecture, faiblesse des
revenus, maisons d’édition fantômes, publications aléatoires, manque de compétences
éditoriales, commerciales et de réseau de diffusion, coût exorbitant des intrants
(papier et fournitures d’imprimerie), désengagement de l’État.
Des années post-indépendance jusque vers les années 1970-1980 l’État est le
principal acteur sur le marché national : les bibliothèques d’établissements
primaires scolaires et secondaires, techniques et universitaires sont dotées de
d’ouvrages (manuels, romans, dictionnaires, etc.) ainsi que les bibliothèques des
maisons de jeunes et de la culture. Il a en face de lui des maisons d’édition qui
ont pour nom : Nathan, Hachette, Hatier, etc., il s’agit déjà, à cette époque d’un
secteur où les parts de marché sont détenues par des géant mondiaux déjà
sensibilisés aux différences des contextes culturels et sociologiques même si les
programmes restent à la discrétion de l’ancienne métropole.
Les crises consécutives aux chocs pétroliers, les politiques d’ajustement structurel
et l’immixtion grandissante des institutions de Bretton Woods dans les secteurs de
l’éducation formelle par des mesures de rationalisation croissante auront fini de
désagréger toute velléité de faire du livre le rouage essentiel pour la culture et
la connaissance. Aujourd’hui en Afrique le livre peut- être considéré comme un
véritable chaînon manquant dans le domaine éducatif.
A ces causes quelque peu globales, il faudrait ajouter des contextes nationaux
locaux et sous régionaux souvent défavorables (au plan politique et culturel : repli
identitaire, culturel ou religieux, au plan économique (dévaluations, absence de
monnaie commune, corruption, etc.) même si, çà et là, des initiatives d’ONG et
d’agences de coopération tentent d’inverser la tendance comme dans l’espace
francophone.
Des pays et maisons d’édition dynamiques se retrouvent au Maghreb, comme par exemple
en Tunisie, ou des incitations diverses existent ainsi que des structures de
formation adéquates, et en Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud). Certains
pays jouissant de facteurs favorables ne sont pas en reste (Nigeria par exemple).
Mais l’État peut-il être considéré comme étant au cœur de cette dynamique pour
autant ?
Dans les pays où l’édition au sens large fait des percées, des politiques de
co-édition hardies existent y compris avec de grandes ou petites/moyennes maisons du
Nord car celles-ci bénéficient déjà de réseaux de distribution et de diffusion
structurés et de l’expertise du métier. Le marché est prospecté et les besoins du
lectorat cerné que ce soit pour le roman, la littérature de jeunesse ou pour
l’édition technique et scientifique.
L’Afrique subsaharienne se doit de combler son retard en innovant. Les éléments de
nos cultures populaires sont sous le boisseau et tout le monde devra y mettre du
sien (écrivain, auteurs des différents genres, artistes-graphistes-maquettistes,
conteurs, historiens traditionalistes, etc., pour redonner vie à l’envie de lecture
et inculquer des valeurs d’ancrage à nos sociétés, pour éduquer et former. La
solution peut provenir de la consolidation de réseaux existants, de l’échange
d’expériences, du soutien raisonné de l’État, mais aussi et surtout de l’innovation
et de la synergie à tous les niveaux.
Qu’entendre par innovation ? A voir : le nombre de séminaires de formation sur les
différentes thématiques liées au livre depuis une décennie au moins, les demandes de
soutien spécifique par exemple pour le roman ici au Sénégal, m’amène à penser qu’il
ne faudrait pas avoir une vision braquée sur le court terme et somme toute
corporatiste. Le problème d’une politique de promotion et de soutien du livre et de
l’édition est un tout que l’on ne peut appréhender sans en avoir une vision globale
: les moyens et les compétences pour agir dans un environnement difficile et de
surcroît menacé par la mondialisation et la fracture numérique.
Les récentes initiatives sur la solidarité numérique et le potentiel croissant qui
se met en place en Afrique doivent pousser à repenser notre vision du livre
uniquement en tant que support imprimé dont la production
(édition/impression/marketing), le transport (distribution), et la mise à
disposition du public (diffuseurs, libraires, VPC) ont des coûts exorbitants en
Afrique. Le coût d’un cd-rom éducatif peut considérablement pallier dans certains
contextes cet état de fait. Le Sénégal qui est une tête de pont dans cette
initiative par le biais des différentes structures existantes doit intégrer cette
donne qui n’est pas de l’utopie. Des millions de publications sont disponibles
aujourd’hui par le biais du Net (en pdf, html, cfm, etc.), à tel point qu’un élève
ou étudiant peut- être plus documenté et à jour que son enseignant sur une question
ou des statistiques données !
La pénétration de l’outil informatique reste faible dans le tissu social et
éducatif, donc il ne faut pas rêver. Mais on pourrait concevoir ici au Sénégal des
centres de ressources judicieusement implantés qui pourraient apporter une valeur
ajoutée considérable à la diffusion de la connaissance et à la formation à tous les
niveaux notamment par le biais du livre électronique dans les endroits reculés et là
où les niveaux de revenus ne l’auraient pas permis. Évidemment des problèmes
techniques (et financiers) se posent ici mais qui restent solvables car le capital
humain existe et la volonté pour le faire.
Charles Beye
Chargé des Publications
charleswet@sentoo.sn