Dr Mouhamadou Lô : « La CDP travaille avec le CNRA à la modération des sites en ligne »
samedi 25 janvier 2014
Le président de la Commission de protection des données personnelles invite les Sénégalais à la prudence concernant l’utilisation qu’ils font de leurs données personnelles. Il est aussi revenu sur les dérapages de la presse en ligne au Sénégal.
Quels sont les enjeux de la protection des données personnelles et leurs impacts directs dans la vie quotidienne des Sénégalais ?
« Les données personnelles constituent une denrée très convoitée. C’est la raison pour laquelle leur protection est consacrée comme un principe à valeur universelle. Au Sénégal, les enjeux de la protection des données personnelles tournent autour de la recherche de la confiance aux outils technologiques.
L’urgence s’explique par le retard constaté dans les pays africains sur ces questions de confidentialité.
La loi sur la protection des données personnelles des Sénégalais célèbre d’ailleurs son anniversaire ce 25 janvier. Elle a été votée en 2008, alors que notre autorité de protection vient juste de démarrer ses activités.
L’impact direct est que les Sénégalais vont désormais se sentir rassuré en sachant que la Commission de protection des données personnelles (Cdp) veille et contrôle la collecte et l’utilisation de leurs données personnelles par l’administration ou par les entreprises privées. J’en profite pour demander, à nouveau, aux structures de se rapprocher de nos services pour procéder aux déclarations de leurs fichiers. »
Est-ce que la Cdp a une solution face à la violation fréquente de la vie privée des citoyens et de leurs libertés sur les réseaux sociaux et sur Internet ?
« La particularité des réseaux sociaux est que c’est le Sénégalais lui-même qui, de son propre initiative, décide de publier des informations personnelles le concernant. Par conséquent, dans les réseaux sociaux, le premier gardien des données personnelles est la personne elle-même.
Comme solution, la Cdp invite les Sénégalais à faire preuve de vigilance par rapport à ce qu’ils postent sur les réseaux sociaux. A cet effet, notre mission consiste à la sensibilisation sur les risques. Plusieurs actions sont prévues pour informer les Sénégalais sur les conséquences d’une exposition de leur vie privée dans ces réseaux.
Au-delà de ce travail d’information, en cas de vol d’informations, d’identité ou de tout autre acte attentatoire à la vie privée de nos concitoyens, la victime peut se rapprocher de la Commission afin de bénéficier d’une assistance juridique pour la réparation du dommage subi. Enfin, pour faciliter ce travail, la Commission envisage de nouer dans les meilleurs délais un partenariat avec les géants de l’Internet pour mieux sécuriser la vie privée des Sénégalais. »
La presse fait-elle partie de votre domaine de compétence en matière de protection des données personnelles ?
« Le champ d’application de la loi sur les données est très large. Toutes les entreprises sont concernées, y compris les sociétés de presse. Ce qu’il faut savoir, c’est que la Cdp veille aussi bien sur les informations personnelles permettant d’identifier un journaliste, que sur les systèmes de surveillance des salariés en place.
Je veux parler des caméras de surveillance dans vos locaux, des systèmes biométriques, de la géolocalisation des véhicules, etc. »
Récemment, le président de la République a émis l’urgence de procéder à la régulation de la presse en ligne. Quel rôle peut jouer la Cdp dans cette préoccupation du chef de l’Etat ?
« Ce qui se passe sur les sites web d’information sénégalais est inqualifiable et intolérable. Après chaque article, il y a des commentaires avec des insultes, de la diffamation, etc.
Le rôle de la Cdp, lorsqu’elle est saisie, est de demander au responsable du site de procéder immédiatement à la suppression du contenu incriminé. Au-delà de ce pouvoir d’injonction, la Cdp travaille actuellement en collaboration avec le Cnra pour que tous les sites soient modérés avant la publication des commentaires. »
La Cdp dispose-t-elle des moyens de contrôle et de sanction et dans quelle mesure cela intervient-il ?
« Oui, la Cdp a le pouvoir de se déplacer sur les lieux de stockage des données des Sénégalais pour procéder aux vérifications nécessaires. Si les données sont à l’étranger, elle peut s’appuyer sur les autorités de protection des pays concernés pour demander le contrôle des données. En ce qui concerne les sanctions, la Commission peut, en cas de manquement à la législation, prononcer des sanctions pécuniaires de 1 à 100 millions de FCfa. »
L’affaire Snowden a eu à faire les choux gras de l’actualité internationale. Est-ce que cela peut se produire au Sénégal ?
« Oui, cela peut se produire malheureusement au Sénégal. La raison est très simple. Nous sommes des consommateurs pas trop regardants sur les technologies utilisées. Nous nous contentons de les utiliser sans se préoccuper des logiciels espions placés sur ces outils.
Je les qualifie d’outils de surveillance dormants. Parfois, ces logiciels sont activés des années plus tard et il suffit maintenant de procéder à leur interconnexion pour écouter ou surveiller toute une population ou toute une administration. La solution est là devant nous : faire confiance aux ingénieurs Sénégalais et utiliser les outils développés chez nous. »
Aly Diouf
(Source : Le Soleil, 25 janvier 2014)