Crédit à...Prof. Abdoulaye Sakho, Président du Conseil de régulation des télécommunications : « La régulation est importante dans un pays en développement »
lundi 22 octobre 2007
En prélude à la troisième édition du Forum de la régulation qu’il organise sous l’égide de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Professeur Abdoulaye Sakho, président du Conseil de la régulation des télécommunications et des postes du Sénégal, a bien voulu échanger avec Le Quotidien sur l’utilité d’une instance de régulation dans un pays en développement.
Quel est l’intérêt de la rencontre que vous organisez aujourd’hui à Dakar ?
C’est dans le prolongement d’une manifestation que nous voulons pérenne, qui a démarré il y a deux ans, et nous en sommes à la troisième rencontre. Le Forum est une association qui est née de l’imagination de deux universitaires, moi-même et une collègue de Sciences Pô, Marianne Frison Roche. C’est une association qui regroupe les régulateurs, les opérateurs, les consommateurs, les universitaires, bref, toutes les personnes qui sont intéressées à la régulation. Ces parties prenantes ont la possibilité de créer un espace de réflexion et d’échange. C’est d’ailleurs cela l’idée d’un forum. Il ne s’agit pas de créer un groupe qui prendrait des décisions, mais plutôt un groupe qui va venir discuter de certaines questions.
On a utilisé la régulation pour faire un forum, car la régulation est un mode de gestion et d’économie. Dans les pays comme le nôtre, nous changeons le mode de gouvernance de notre économie. On est en train de quitter une gouvernance étatique pure vers une gouvernance relativement libéralisée. La régulation permettra de faire la transition de l’économie administrée par l’Etat vers l’économie totalement libéralisée. Car, quand on libéralise, on donne au privé, et le premier réflexe du privé, c’est de ne faire que selon ses intérêts. Pour éviter cela, on crée des instances de régulation qui sont supposées prendre en charge tous les intérêts.
Quels sont les services concernés par la régulation ?
La régulation, on peut en avoir une vision large et une vision étroite. La vision étroite voudrait que la régulation ne concerne que les secteurs d’infrastructures. C’est-à-dire, les secteurs essentiels, qui sont en train d’être libéralisés. Je veux parler de la distribution de l’eau, de l’électricité, des télécommunications et, dans un certain sens, des transports. On s’est rendu compte, aujourd’hui, que, pour une meilleure efficacité, il faut les céder au privé. Mais, il faudrait que, en même temps que le privé y trouve son compte, on tienne compte des préoccupations du service public. Ce n’est pas parce que l’on a donné les télécommunications au privé que les gens de Fongolimbi ne pourraient pas avoir accès aux services sociaux de base. De ce point de vue, le régulateur est là pour dire à ces opérateurs : « Attention ! Vous faites des profits énormes dans Dakar, mais vous êtes tenus de faire en sorte que les populations des zones les plus reculées du Sénégal puissent avoir accès à ces services-là. »
Mais aujourd’hui, on a une vision un peu plus large de la régulation, et qui correspond à nos besoins de pays en développement. Dans les pays occidentaux, c’est à l’occasion de la privatisation des Télécoms que l’on a créé les organes de régulation. Mais chez nous, ce n’est pas seulement ces secteurs qui sont importants, mais il y a aussi toutes sortes de secteurs et qui méritent d’être régulés. Parce qu’il y a des gens qui y sont, à qui l’Etat a délégué la gestion et qui, si on ne fait pas attention, vont gérer ces structures selon leurs intérêts propres, alors que la population a peut-être besoin d’une gestion un peu plus transparente.
Pour parler de l’existant, la régulation la plus visible est celle des Télécoms. Mais là, on ne sent le régulateur que quand il veut sanctionner. Son rôle doit-il se limiter à la sanction ? D’ailleurs, votre forum porte sur l’autorité du régulateur. En quoi consiste celle-ci dans le contexte du Sénégal ?
Il y a des décisions spectaculaires, comme quand il s’agit de sanctionner. Mais le régulateur, quand il tape sur un opérateur, ce n’est pas de gaieté de cœur. Généralement, quand un opérateur s’active dans un secteur, il est juridiquement lié à l’Etat par une convention de concession. Et cette convention a un cahier des charges. Et on demande à l’opérateur d’exploiter le secteur selon l’éthique du cahier des charges, faute de quoi, les sanctions vont tomber. C’est ce qui s’est passé dans le secteur des télécommunications. Mais ce qui est sûr, c’est que les régulateurs, d’une manière générale, ont besoin que leurs décisions soient acceptées. C’est pourquoi, l’on parle de l’autorité du régulateur. On s’est rendu compte, l’actualité aidant, que l’autorité de régulation au Sénégal a pris une décision contre l’un des opérateurs. Dans les transports, des régulateurs cherchent des solutions aux problèmes qui se posent. Dans l’électricité, les gens se demandent à quoi sert le régulateur. Il y a quelque chose qui est là, bouillonnant, dont on ne sait ce que c’est. Mais, on se rend compte que l’autorité du secteur doit prendre des décisions qui doivent être respectées par tous. C’est pour cela que l’on s’est dit qu’il faut réfléchir sur cette autorité. Comment faire pour que l’instance qui est en charge de réguler le secteur puisse prendre une décision qui ne soit contestée par personne ? A mon avis, la décision doit être basée sur quelque chose de scientifiquement valable.
Mais l’autorité, ce n’est pas seulement vis-à-vis des acteurs. Cela peut aussi être vis-à-vis de l’Etat. S’il crée une instance et lui confie la gestion d’un secteur, et que, régulièrement, l’Etat vient s’immiscer dans le fonctionnement du secteur, cela peut remettre en cause l’autorité du régulateur. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles, après avoir parlé, l’année dernière, de l’indépendance, on peut parler, aujourd’hui, de l’autorité du régulateur.
L’indépendance comme l’autorité du régulateur n‘est-elle pas liée au mode de nomination du régulateur ?
Le mode de nomination des structures publiques a toujours posé problème. Car quand vous êtes nommé à une fonction, il y a des fortes chances pour que vous dépendiez de celui à qui vous devez cette nomination en termes de prise de décision. Mais, en termes d’indépendance, il y a à informer les Sénégalais sur le champ de compétence du régulateur. Il y a eu un débat, dernièrement, sur la cession de la licence de téléphone. Quand quelqu’un confie, par délégation, une mission, ce quelqu’un a la possibilité, à tout moment, de vous dire, je retire une partie de la mission, et je la gère moi-même. C’est ce qui s’est passé avec l’Artp et la cession de la licence de Sudatel. L’Etat du Sénégal a la possibilité politique, de dire, « pour la fixation du prix et pour tel ou tel aspect..., moi Etat qui vous avais confié la gestion de cela, je me limite à vous donner la question technique. Mais, pour ce qui est des aspects financiers, je vais les gérer ». Et cela ne posera aucun problème, du point de vue du droit.
Mohamed Guèye
(Source : Le Quotidien, 22 octobre 2007)