Carte d’identité biométrique CEDEAO : chronique d’une refonte partielle forcée du fichier électoral
mercredi 26 juillet 2017
Les pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) devront certainement se moquer du Sénégal. Pour cause, notre pays qui se vante d’être le premier Etat de cette organisation à disposer de la carte d’identité biométrique (Cedeao) s’est retrouvé dans une impasse. De l’inscription sur les listes électorales au retrait des cartes, la cacophonie est totale, alors que le scrutin législatif est prévu pour ce dimanche 30 juillet.
En lançant, le mardi 4 octobre 2016, le processus d’inscription pour l’obtention de cette carte d’identité biométrique de la Cedeao, qui servira en même temps de carte d’électeur et de carte séjour dans les pays de l’espace Cedeao, le président de la République, Macky Sall se réjouissait : « notre pays est le premier pays de l’Afrique de l’Ouest à avoir mis en œuvre cette directive de la Cedeao, qui a elle-même donné les spécificités. Et, avec cette carte, nous allons passer de la Cedeao des Etats à la Cedeao des peuples ». Il décide alors que le vote se fasse avec le nouveau fichier électoral.
Toutefois, l’opposition reste sceptique et alerte sur l’impossibilité d’éditer toutes les cartes avant le scrutin, mais en vain. L’Etat rejette cette incertitude. Accompagné de la Première Dame, Marième Faye Sall, du Premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne, du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Abdoulaye Daouda Diallo, du président de la Commission électorale nationale autonome (Cena), Doudou Ndir et des membres de la Direction de l’automatisation du fichier (Daf), Macky Sall était donc loin d’imaginer que tous les sénégalais ne disposeraient pas de leurs nouvelles cartes d’ici le scrutin. Des couacs alors à n’en plus finir.
D’abord, la fin de la gratuité dès les premiers mois
C’est la première « maladresse ». L’inscription est gratuite pendant les six premiers mois à un an maximum, sous peine de payer 10.000 F Cfa pour obtenir une Carte nationale d’identité, pour tous ceux qui ne s’inscriront pas avant ce délai. Le président Sall a appelé tous les citoyens à saisir cette opportunité. « J’ai décidé que nous devons, dans un horizon temporel limité, d’ici à 6 mois, permettre à l’ensemble des citoyens qui le désirent, de disposer gratuitement de la carte d’identité biométrique Cedeao et donc de la carte électorale. Passé ce délai, nous verrons éventuellement les aménagements possibles… La validité des anciennes cartes se limite au mois de décembre (2016, ndlr) et, au-delà de six mois à un an maximum, tous ceux qui désireront obtenir la nouvelle carte payeront 10.000 F Cfa ». Une première dans l’histoire du Sénégal.
Les commentaires vont alors bon train : pourquoi doit-on payer pour obtenir une carte d’identité ? Comment des gens qui n’arrivent même pas à assurer leurs dépenses quotidiennes pourront payer pour une carte d’identité ? Autant de questions que se posaient certains responsables politiques. Ainsi, par peur que le taux d’inscrits ne soit faible, un brusque revirement est opéré. Et, cette fois-ci, c’est Abdoulaye Diallo qui, lors du vote du budget de son département le 6 décembre 2016 calme les ardeurs. « Même après l’expiration des six mois de délai de gratuité fixé par l’Etat, les Sénégalais ne débourseront pas 10.000 F Cfa pour obtenir la carte nationale d’identité biométrique Cedeao ».
50 milliards de FCFA investis… pour ça
Le 27 mai 2016, l’Etat du Sénégal attribue un marché de 50 milliards de F Cfa, pour la confection des nouvelles cartes nationales d’identité biométriques, à la société Malaisienne Iris Corporation Berhad. Là aussi, des problèmes sont notés. L’opposition doute de la fiabilité de la société. Mamadou Lamine Diallo du Mouvement Tekki pense qu’une Assemblée nationale « sérieuse », au vu des « difficultés du projet actuel et des soupçons qui pèsent sur Iris aurait mis en place une commission d’enquête ». Non sans rappeler que cette « même société avait été citée par la Cour des Comptes du Sénégal dans le projet de passeports biométriques, il y a quelques années. Des experts soutiennent que le coût total d’un projet de cartes d’identité biométriques, logiciel, cartes, valises, imprimantes, consommables, personnel, pour 10 millions de personnes, ne dépassent pas 25 milliards. Donc, ils se demandent à qui profite cette marge de dizaines de milliards ? ». Malgré tout, l’Etat du Sénégal est déjà engagé et rassure que tout le monde va disposer de sa carte avant le scrutin législatif.
De longues queues pour s’inscrire en raison de lenteurs
S’inscrire pour l’obtention de la carte d’identité biométrique relève d’un véritable parcours du combattant. Sauf quelques uns qui bénéficient de certains avantages, des citoyens prennent d’assaut les commissions administratives. Certains passent même la nuit devant ces commissions ou font des jours avant de s’inscrire. Outre l’insuffisance des commissions, le rythme des inscriptions est trop lent. Nonobstant, la Daf parle de léger retard et assure que toutes les cartes seront délivrées à temps, donc avant les législatives, alors que l’opposition « émet des craintes et évoque la préparation d’un coup fourré ». Pis, l’opposition doute encore de la production de 4 millions de cartes d’identité biométrique au 30 avril prochain, la date limite que le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique avait fixée pour la fin des inscriptions sur les listes électorales.
Une carte qui pose des problèmes d’identification
Le nouveau document ne fait pas mention des noms du père et de la mère du titulaire. En ayant fait le constat chez des détenteurs de la carte d’identité biométrique désireux de se faire établir un extrait du casier judiciaire, les services de la Justice leur réclament l’ancienne carte d’identité. Car, les anciennes cartes permettraient une « identification plus rapide et plus fiable du citoyen ». « Quand deux personnes de mêmes nom et âge sont soumis à une identification avec les cartes biométriques, à part leurs empreintes, c’est à leurs parents qu’il faut recourir pour les distinguer », font observer certaines personnes. Sans oublier le fait que certains citoyens ont reçu deux cartes à la fois ou encore d’autres qui retrouvent des photos de femmes ou d’hommes sur leurs cartes, donc Fatou à la place de Modou et vice versa.
Que de couacs dans la distribution des cartes
Après les difficultés dans les inscriptions pour l’obtention de la carte biométrique, voilà que le retrait aussi devient un chemin de croix. Des citoyens inscrits font des va-et-vient à n’en plus finir entre les commissions d’inscription et leurs lieux de vote pour retirer leurs cartes, s’ils ne restent pas tout simplement sans information sur la destination de leur carte déjà produite ou pas encore. Au finish, certains se décourage et renoncent à leurs cartes. Et, pour y remédier, l’Etat du Sénégal met à la disposition de tous les citoyens, un centre d’appel et d’information sur la disponibilité des cartes biométriques. Un numéro vert « 800-00-2017 du lundi au vendredi de 08h00 à 18h00 et le samedi de 08h00 à 17h00 ». Une fois ce numéro composé, l’opérateur de la Daf informera de la disponibilité de la carte d’identité biométrique Cedeao, du lieu de retrait et le numéro de box qui contient la carte. Cependant, même si le numéro a marché, c’est peut-être pour quelques jours. Car, beaucoup de personnes disent insister, mais en vain.
Distribution de cartes chez des responsables APR, sans oublier « l’affaire » Samba Ba
Comme si toutes ces difficultés ne suffisaient pas, à Touba, une commission de distribution des cartes d’identité est installée chez un responsable du parti au pouvoir irrite des militants de l’opposition qui envahissent le domicile de la militante de l’APR. Dénonçant cet état de fait, l’opposition parle encore des cas de fraude. Déjà, la semaine dernière, des responsables de la Coalition Mankoo Taxawu Senegaal, dont les maires Bamba Fall et Barthélémy Dias, avaient « séquestré » puis conduit à la Gendarmerie de Thiong deux jeunes, dont Samba Ba arrêtés à la Médina, pour détention des cartes d’identité des votants de la commune de Mermoz-Sacré Cœur. Ils les accusaient de les détenir « illégalement ». Le sous préfet des Almadies dément. Selon Khadidiatou Sène Traoré, Samba Ba, âgée selon certains de 21 ans, est un président de commission, il est donc « habilité à détenir, par devers lui », les cartes incriminées. Alors que certains doutent du problème de sécurité évoqué par le jeune homme, d’autres dénoncent l’attitude des maires socialistes qui devraient « saisir la justice au lieu de les séquestrer ». N’empêche, Samba Ba sera relevé de la tête de cette commission.
Des opposant réclament la tête du Ministre de l’Intérieur, Wade appelle à une marche pour…
Au vu de tous ces problèmes liés à la production et la distribution des cartes d’identité biométriques, certains opposants réclament le départ de Abdoulaye Daouda Diallo, le ministre de l’Intérieur et la Sécurité publique, chargé de l’organisation des législatives du 30 juillet pour « incompétence ». Ce dernier qui n’a pas hésité à avouer avant-hier, lundi 25 juillet, lors d’une rencontre avec la CENA, que beaucoup d’inscrits ne disposeront pas de leurs cartes d’électeur à date échue. « Le ministre a dit, avec honnêteté, que toutes les cartes ne pourront pas être éditées d’ici le scrutin », a révélé le président de la CENA, Doudou Ndir.
Solution alternative : Macky Sall saisit le Conseil constitutionnel
Coup de théâtre ! Au bout du rouleau, le président de la République, Macky Sall, a saisi officiellement avant-hier, lundi 24 juillet, le Conseil constitionnel pour valider l’utilisation de l’ancienne carte d’identité numérisée et ou d’électeur, du passeport, du permis de conduire et autres documents administratifs au scrutin législatif du 30 juillet. Une proposition que l’opposition rejette en bloc. Elle soupçonne une fraude « déjà orchestrée » par le pouvoir. Cette proposition de Macky Sall devient, dès lors, ridicule aux yeux de certains qui sont allés jusqu’à dire qu’il serait également possible de voter avec des cartes d’étudiant, de dahira, d’abonnement de bus etc. Au finish, c’est un aveu de taille qui donne raison à l’opposition qui a toujours émis des réserves quant à la refonte du fichier électoral.
Mariame Djigo et Seynabou Bop
(Source : Sud Quotidien, 26 juillet 2017)