La boutique d’objets divers de Moussa marchait plutôt bien. Mais il voulait être aussi riche que ces émigrés sénégalais, les « modou modou », qui ont fait fortune à l’étranger. Lorsque la pirogue, en partance pour l’Espagne, où il s’était glissé, a pris l’eau, les passeurs ont décidé de « jeter tous les gros ». Moussa était le plus gros. Le Dakar Bondy Blog (DBB) donne la parole à ses amis.
Piloté par les journalistes Serge Michel et Nordine Nabili, avec la collaboration d’étudiants du Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) de Dakar, le DBB est le quatrième site (après Marseille, Neuilly et Lyon) ouvert par le Bondy Blog, créé à l’automne 2005 par des journalistes suisses de L’Hebdo venus s’installer en Seine-Saint-Denis lors des émeutes de banlieue afin de « raconter les quartiers populaires ».
Le premier billet du DBB, début mai, évoquait le « spectacle banal » des heurts opposant régulièrement policiers et étudiants sur le campus de l’université Cheikh-Anta-Diop dans la capitale du Sénégal (55 000 étudiants pour 25 000 places) : « Un matin de lacrymogènes, comme à Bondy il y avait des matins de fumées de voitures brûlées pour la naissance du Blog, en novembre 2005 ! »
Dure condition
Le blog parle de ces mendiants qui se battent pour récupérer les restes du restaurant universitaire, du dépeuplement du zoo de Dakar du fait de la crise alimentaire, des agents de Véolia qui ne balaient que les rues arpentées par les touristes, et pas celles où vivent les Sénégalais.
On découvre aussi un marché où « le plus difficile est de ne pas trouver ce que l’on veut, car ici tout se brade ». Le nombre de vendeurs est tel que « les plus modestes ou les refoulés de France ou d’Espagne installent leur échoppe sur les rails » d’une ligne de chemin de fer. Un journaliste explique que « pour ne pas avoir à tendre la main pour survivre, ils n’hésitent plus à faire face au train », quitte à remballer prestement leurs marchandises lorsque celui-ci se met à siffler.
Ce qui a le plus motivé les journalistes blogueurs a été la remise, samedi 10 mai, pour la première fois en terre africaine, du prix Albert Londres, à Dakar (Benjamin Barthe, collaborateur du Monde et de L’Express, a reçu le prix dans la catégorie presse écrite [Le Monde du 13 mai]).
Pas peu fiers, ils insistent sur le fait que Ramata Soré, journaliste burkinabée, a raté le prix de quelques voix seulement avec son reportage sur Moussa Kaka, le correspondant de RFI « toujours embastillé » au Niger. La dure condition des journalistes en Afrique revient d’ailleurs souvent dans les thèmes du DBB.
Jean-Marc Manach
(Source : Le Monde, 15 mai 2008)